Par Brahim Fassi Fihri, Président Fondateur de l’Institut Amadeus

Brahim Fassi fihriLes dates du 17 et 18 juillet 2016 resteront à jamais gravées dans l’histoire de la diplomatie marocaine. Nous venons, en effet, d’assister à l’évolution la plus marquante de la doctrine marocaine en matière de relations internationales. Après 32 ans d’absence de l’Union Africaine (et de l’OUA entre 1984 et 2002), le Maroc, membre fondateur de l’OUA, annonce le 17 juillet, par l’intermédiaire d’un Message courageux et historique de SM le Roi Mohammed VI, adressé aux Chef d’Etats réunis à Kigali à l’occasion du 27ème Sommet de l’Union Africaine (UA), sa volonté légitime de retrouver « sa place naturelle » au sein de sa grande « famille institutionnelle ». Le lendemain, à la surprise générale, contredisant tous les pronostics, même des plus optimistes, une motion signée par 28 membres de l’UA (majorité simples des 54 membres), demandant la suspension de la pseudo « RASD » et soutenant le retour du Maroc à l’UA a été adressée, par le Président gabonais Ali Bongo Ondimba au Président en exercice de l’organisation panafricaine, le tchadien Idriss Déby Itno.

La pertinence du retrait du Maroc de l’OUA, en 1984, était justifiée par des considérations politiques légitimes. Aujourd’hui, l’UA a vu ses prérogatives considérablement élargies notamment en matière de maintien de la paix, de préven­tion des conflits et de développement économique. La nouvelle tendance des pays membres de l’UA à coordonner et à formuler des positions communes, au nom de l’Afrique, sur les questions multilatérales au sein des organisations internationales, fragilise potentiellement la position du Maroc. L’UA représente aujourd’hui, très clairement, pour les africains la « Voix de l’Afrique ». Il est indéniable que la politique de la chaise vide n’a pas servi la cause du Maroc au sein de l’Agora africaine.

Ce constat est d’autant plus vrai que, depuis le Sommet d’Addis-Abeba de janvier 2013, et après plus de 20 ans de neutralité positive de l’organisation panafricaine (en faveur du Polisario) sur la question du Sahara, une nouvelle « ambition » de l’UA sur cette même question, allant totalement à l’encontre des intérêts du Royaume, a vu le jour, lorsque le Conseil Exécutif de l’UA a demandé « à la Commission de prendre toutes les mesures nécessaires pour l’organisation d’un référendum pour l’autodétermination du peuple du Sahara Occidental ».

La nomination en 2014 de Joaquim Chissano, ancien Président du Mozambique, connu pour ses positions pro-Polisario, en tant qu’En­voyé Spécial de la Présidente de la Commission de l’UA pour le Sahara, doit être considérée comme l’acte fondateur de la nouvelle stratégie offensive de l’organisation panafricaine visant à reprendre la main sur ce dossier. Cette hostilité grandissante de l’UA et de ses organes à l’égard du Maroc et de son intégrité territoriale s’est exprimée à travers les deux derniers rapports de la Présidente de la Commission de l’UA (2015 et 2016) et à travers les décisions du Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) de l’UA, composée de 15 pays membres. Le contenu des Rapports de Mme. Dlamini-Zuma et les décisions du CPS sur le Sahara (référendum, monitoring des Droits de l’Homme, exploitation illégale des ressources naturelles, boycott des produits marocains, etc.) démontrent clairement l’alignement total et aveugle des organes de l’UA sur les thèses du Polisario et de l’Algérie, sans pour autant que les pays « amis » du Maroc n’aient pu intervenir pour en atténuer leur caractère anti-marocain.

La stratégie de « relais » ou la « diplomatie par procuration » longtemps utilisée par le Maroc, consistant à s’appuyer sur des pays « amis » membres de l’UA, pour influencer ou orienter les décisions de l’organisation, s’est révélée de moins en moins efficace. Face à une hostilité grandissante de la part des organes et des instances de l’UA, il apparait aujourd’hui évident que la meilleure stratégie de défense des intérêts du Royaume doit s’opérer de « l’intérieur ». Il est en effet plus aisé pour le Maroc de se « battre » au cœur de l’instance africaine qu’à l’extérieur de celle-ci. Comme l’a rappelé SM le Roi dans son Message adressé au Sommet de Kigali, il est « évident que quand un corps est malade, il est mieux soigné de l’intérieur que de l’extérieur ». Le Royaume au sein de l’UA, pourra, comme il le fait à l’ONU, anticiper efficacement et réagir face aux velléités des adversaires de notre intégrité territoriale, quels qu’ils soient, tout en contribuant de manière constructive au développement de l’UA et en œuvrant en faveur de la concrétisation de l’intégration africaine.

S’il est indéniable le retour du Maroc à l’UA s’inscrit dans une nouvelle dynamique, ou orientation stratégique, il faut pour autant garder à l’esprit, comme l’a souligné le Souverain dans son Message adressé à l’organisation panafricaine, que le Royaume ne revient pas à l’UA en étant demandeur, mais en étant demandé. Loin d’être isolé en Afrique, le Maroc a fait de son continent d’appartenance une option stratégique. Fort de son modèle économique qui a déjà fait ses preuves, et donc à sa légitimité reconnue, le Maroc est aujourd’hui un acteur moteur et sollicité sur le continent, qui n’a, comme souligné par le Souverain, jamais été aussi africain qu’aujourd’hui.

Les expériences multisectorielles du Maroc et l’expertise du Royaume en matière de développement humain ont favorisé la mise en place d’un réel socle de partenariat Maroc-Afrique responsable et durable, basé sur un véritable cadre de co-développement, où l’Humain et son mode de vie, est au centre de la Vision Royale africaine. Celle-ci est renforcée par des actions concrètes de solidarités, telles que l’annulation de la dette des pays les moins avancés du continent, la participation à plusieurs opérations de stabilisation et de maintien de la Paix, l’accueil des étudiants et des cadres africains dans les universités et les cycles de formation au Maroc, la régularisation de subsahariens en situation irrégulière au Maroc, le financement de projets à caractères socio-économiques, ou encore la formation d’imams et de morchidates à travers la Fondation Mohammed VI des Oulémas africains. Sur le plan économique, le Royaume est depuis quelques années le deuxième investisseur africain sur le continent après l’Afrique du Sud et les « champions nationaux », les grandes entreprises marocaines sont présentes dans une trentaine de pays africains, lorgnant la position de principales entreprises, par secteur, dans les pays dans lesquels elles exercent.

Cette place de choix qu’occupe le Maroc au sein de la communauté africaine, en particulier en tant qu’acteur économique majeur, doublée de sa vocation africaine irréversible, ont poussé de nombreux leaders africains à lancer un appel en faveur du retour du Royaume au sein de l’UA. Le Sommet de Kigali a permis à plusieurs pays africains de multiplier les déclarations de soutien à la volonté du Maroc de retrouver son fauteuil au sein de l’agora africaine, pour parachever, grâce à l’expertise du Royaume et par le multilatéralisme, l’intégration économique du continent.

Pragmatiques, plusieurs membres de l’UA, voient dans le retour du Maroc, la possibilité de challenger, voire de déconstruire sur le plan stratégique, l’axe Alger-Abuja-Pretoria qui définit l’architecture et oriente les priorités de l’UA. Dès son retour, le Maroc pourrait contribuer à la mise en place d’un nouvel axe fort Rabat-Abidjan-Le Caire-Kigali-Nairobi, capable de peser sur l’organisation panafricaine et d’impulser sereinement les grands projets de l’UA tels que le passeport panafricain, la cour africaine de justice ou de contribuer efficacement à la lutte contre le terrorisme et à la résolution des crises au Burundi et au Soudan du Sud.

Pragmatique, à son tour, le Royaume profite d’un momentum et d’un contexte favorable pour annoncer son retour au sein de sa « famille institutionnelle ». L’alignement des planètes, ou la conjoncture exceptionnelle, dont bénéficie le Maroc pour amorcer son retour à l’UA s’explique d’abord, et nous l’avons vu plus haut, par sa crédibilité africaine aujourd’hui reconnue par tous, mais également par l’ouverture du Royaume, au-delà de sa « zone de confort », que représente Afrique de l’Ouest et Centrale, sur des pays africains avec lesquels il n’avait pas de tradition de coopération. C’est dans ce cadre que le Maroc a pu bénéficier de la médiation et du leadership du Président du Rwanda, Paul Kagamé, reçu avec les honneurs, à Casablanca en juin dernier, par SM le Roi Mohammed VI. Ce n’est pas fortuit si c’est lors du Sommet de Kigali que le Royaume a exprimé son intention de revenir au sein de l’organisation panafricaine. Le Président Kagamé aurait directement contribué au soutien de plusieurs Chefs d’Etats d’Afrique de l’Est à la démarche du Royaume, même si, à ce jour, leurs pays n’ont toujours pas signés la motion appelant à la suspension de la pseudo « RASD ».

L’annonce Royale intervient également dans un contexte de baisse d’influence d’une Algérie aujourd’hui plus que jamais fragilisée par la chute des prix des matières premières, par une crise économique systémique et par les incertitudes politiques liées à la succession d’Abdelaziz Bouteflika. Depuis le retrait du Maroc de l’OUA, le Royaume et l’Algérie, se sont, sous couvert de « coopération politique », lancés dans une course en Afrique basée sur le « sponsoring », ou soutiens financiers importants, accordés aux responsables politiques africains, en responsabilité ou membres de l’opposition, afin de faire évoluer les positions liées à la reconnaissance ou non de la pseudo « RASD ». Ouvrant la voie à une surenchère permanente, entre le Maroc et l’Algérie, auprès des principaux décideurs africains, cette stratégie est aujourd’hui dépassée, du fait de l’affaiblissement de la force de frappe financière algérienne et de la consolidation du projet de coopération Sud-Sud proposé par le Royaume à ses partenaires africains. Devant la popularité de la « Marque Maroc » sur le continent, de nombreux leaders africains font, en effet, le choix d’un partenariat multidimensionnel proposé par le Maroc, dont les populations bénéficient au quotidien, plutôt que de se laisser convaincre par un pays qui n’a rien à proposer de concret sur le plan bilatéral. Le fait que la motion, présentée par Ali Bongo Ondimba au Président en exercice de l’UA, demandant la suspension ait recueilli 28 signatures, dont celle du Ghana qui continue de reconnaitre la pseudo « RASD », démontre aujourd’hui l’affranchissement total d’une majorité de pays africains des pressions algériennes.

Enfin, il est impossible d’occulter le fait que l’annonce du retour du Maroc à l’UA intervient au moment où la Présidente de la Commission de l’Union, Mme. Dlamini-Zuma, s’apprêtait à rendre son tablier lors du Sommet de Kigali, mais dont le départ ne sera effectif qu’en janvier prochain. C’est, comme rappelé précédemment, sous le mandat (et l’impulsion) de Mme. Dlamini-Zuma que l’UA aura décidé de monter au créneau sur la question du Sahara et de marquer son hostilité totale vis-à-vis du Maroc. Le contenu de la motion majoritaire présentée par le Président gabonais, l’argumentaire présenté par le Souverain dans le Message Royal pour démontrer la position biaisée, anachronique, obsolète et donc contreproductive de l’UA sur la question du Sahara, ainsi que l’ambition du Royaume de retrouver sa place au sein de l’organisation panafricaine, influera, sans doute sur la volonté du prochain Président de la Commission de l’UA de se démarquer de l’héritage « anti-marocain » laissé par Mme. Dlamini-Zuma. Nul doute qu’il (ou elle) voudra, dans l’esprit de la motion des 28, contribuer positivement, aux efforts de l’ONU, pour un dénouement définitif au différend régional sur le Sahara.

Le Sommet de Kigali a acté le retour du Maroc à l’UA, qui sera effectif à l’occasion du prochain Sommet d’Addis-Abeba de janvier 2017. La procédure d’adhésion, qui est régie par l’article 29 de l’Acte constitutif de l’UA, impose la constatation de l’adhésion après réception de l’acceptation de la majorité simple des membres de l’organisation, soit 28 pays, le nombre exact recueilli par la motion présentée au Président en exercice de l’UA.

La procédure de retour du Maroc à l’UA déclenchée à Kigali a posé certaines questions légitimes quant à une éventuelle « cohabitation », au moins à court terme, avec la pseudo « RASD », entité qui n’a, au regard du droit international et des règles pratiques de l’ONU, aucun attribut d’Etat. La place n’a pas été laissée au doute puisque les premières réponses apparaissent dans le Message Royal adressé au Sommet de Kigali, qui rappelle, sans équivoque, que « sur la question du Sahara, l’Afrique institutionnelle ne peut supporter plus longtemps les fardeaux d’une erreur historique et d’un legs encombrant ». C’est, en effet, avec la question du Sahara, que la crédibilité de l’organisation panafricaine, a été sérieusement mise à mal, en intégrant, au déni de toute légalité inter­nationale, une entité ne pouvant se prévaloir d’aucun des attributs reconnus à un Etat. La motion présentée par la majorité des membres de l’UA démontrent que pour une grande partie des pays africain, il y a une corrélation directe entre le retour du Maroc et la suspension de la pseudo « RASD ».

L’UA en intégrant, en son sein, la pseudo « RASD », a commis un véritable « péché originel ». Le culot de l’organisation panafricaine est, jusqu’à ce jour, de continuer à appeler à l’organisation au Sahara d’un référendum d’autodétermi­nation, alors qu’elle a elle-même préjugé, arbitrairement, non seulement de la tenue du scrutin, mais également de son résultat, en intégrant la pseudo « RASD » au sein de l’OUA puis de l’UA.

La volonté de retour du Maroc à l’UA, puisqu’elle a été immédiatement corrélée à la suspension de la pseudo « RASD », ne signifie absolument pas reconnaissance de cette entité fantoche, qualifiée par le Souverain d’« Etat fantôme » ou ne correspond encore moins à une perte de souveraineté.  L’objectif du Maroc, comme l’a affirmé SM le Roi Mohammed VI, est de permettre à l’organisation panafricaine de dépasser « les fardeaux d’une erreur historique et d’un legs encombrant ». Il s’agit, en d’autres termes pour le Royaume, dès lors membre de l’UA, d’impulser et de concrétiser la suspension de la pseudo « RASD » de l’UA. Convaincu du bienfondé de son approche et confiant dans sa capacité à faire évoluer la position de l’UA, dans l’intérêt même de de cette dernière, le Maroc est aujourd’hui totalement décomplexé vis-à-vis de l’organisation continentale.

Sur le plan règlementaire, la suspension d’un membre de l’UA est régie par l’Article 30 de l’Acte constitutif de l’UA, qui ne précise pas le nombre d’acceptions requis, mais qui le lie aux prises de pouvoir anticonstitutionnels, comme l’a rappelé le Président Déby, qui, il faut le dire, aura refusé que le Message Royal et que la motion majoritaire soient présentés devant le Sommet, acceptant uniquement que ces deux documents lui soient remis, en sa qualité de Président en exercice de l’UA. L’argument, présenté dans la motion majoritaire, voulant que la « RASD » ait été admise à l’UA « dans des circonstances particulières » pourrait être sujet à interprétation dans le cadre de l’Article 30 et donc suffire à suspendre la pseudo « RASD ».

A défaut, la suspension devrait être actée à travers l’Article 7 de l’Acte constitutif de l’UA, qui précise que la « Conférence prend ses décisions par consensus ou, à défaut, à la majorité des deux tiers des Etats membres de l’Union », soit 36 pays. La motion majoritaire appelant à la suspension de l’entité séparatiste restera valable jusqu’au prochain Sommet de janvier 2017, dans lequel le Maroc siègera en tant que membre à part entière de l’UA. Le Royaume devra, pour sécuriser définitivement la suspension de la pseudo « RASD », élargir la liste des signataires à 8 pays supplémentaires. Cet objectif reste tout à fait atteignable, compte tenu du fait que des pays considérés comme proches du Maroc, tels que la Tunisie, le Cameroun, l’Egypte, le Niger, Madagascar, le Burundi ou encore le Tchad, sans compter le Rwanda, la Tanzanie et le Kenya, qui ont montré dernièrement leur bienveillance à l’égard du Royaume, n’ont pas encore signé la motion demandant la suspension de la pseudo « RASD ».

Dans un exercice désormais classique, les adversaires de notre intégrité territoriale ont tenté, en vue de minimiser l’impact de cette importante victoire diplomatique du Royaume sur leurs opinions publiques respectives, de lier la volonté de retour du Maroc à un aveu de faiblesse. Cependant et sans aucune ambiguïté possible, le Message Royal adressé au Sommet de Kigali écarte toute tentative de lecture biaisée. Le Maroc envisage sereinement de retrouver sa place au sein de « sa famille » pour aider l’UA à corriger une aberration, alors que l’organisation panafricaine ambitionne de jouer un rôle de facilitateur dans la « résolution » du différent régional autour du Sahara marocain. Le retour du Maroc et la suspension de la pseudo « RASD » permettront à l’UA, comme indiqué par le Souverain, de retrouver sa « neutralité » et de « contribuer d’une manière constructive à l’émergence » d’une « solution ». Les signataires de la motion majoritaire en ont saisi le sens.

By AEF