Par Dr Ahmed EL BOUHALJ, Secrétaire Général Adjoint de la « Fondation de la Mosquée Hassan II », Casablanca (Maroc)

ahemd-el-bouhaliFondée essentiellement sur les orientations de la voix  la plus autorisée du Royau­me,  des  dispositions  de la Constitution de 2011 et des recom­mandations du Conseil National des Droits de 11-lomme, la Stratégie Ma­rocaine d’immigration et d’Asile est déclinée en une multitude de pro­ grammes et plans d’action  guidés par 6 principes directeurs : Appro­che Humaniste- Approche globale­ Respect des Droits de 11-lomme­ Conformité au droit international­ Coopération Multilatérale rénovée­ Responsabilité partagée.

Stratégie Nationale d’immigration et d’asile

Très ambitieuse du fait qu ‘elle em­brasse la totalité des secteurs socio­économiques, elle se trouve orientée aussi bien vers l’ordre interne que vers la dimension internationale  de la problématique de la migration.

Mais la prégnance du rapport de cette stratégie à l’ordre internatio­nal suppose l’existence de condi­tions objectives de succès difficiles à réaliser sans le concours d ‘instru­ments juridiques liés aux niveaux interne et international et se propo­sant de mettre en œuvre une  série  de principes.

Le Principe de conformité au droit international

Théoriquement , l’ensemble des ma­tières figurant dans la stratégie nationale d’immigration et d’asile sont en rapport direct avec le droit inter­ national,  aussi  bien  les  enjeux humanitaires , d’intégration, de politi­que étrangère et de gouvernance, économiques, culturels et sociaux. Il n ‘est pas un seul parmi ces domai­nes qui n ‘a pas été annoncé et pro­tégé par les instruments internatio­naux et régionaux du droit interna­tional des droits de !homme. Donc, toute loi, règlement ou  procédure qui se prononcerait  ou  ignorerait l’un de ces droits est contraire au droit international et engagerait, en conséquence, la responsabilité internationale  de l’État.

Le Principe de solidarité

De régionale et essentiellement afri­caine, l’approche marocaine est dé­sormais aussi – elle l’a été avant la lettre et depuis longtemps d’ail­ leurs- intercontinentale et interna­tionale avec son extension aux mi­grants et réfugiés des pays Arabes du Moyen-Orient et du Golfe, d’Eu­rope, d’Asie, etc.

Pour les populations de l’Afrique subsaharienne, le jus soli comman­de leur déplacement sous l’effet des bouleversements climatiques et des contraintes au développement  vers le Maroc en   tant que territoire « africain » du nord du  continent, et ce, depuis que l’Afrique  est  conti­nent   africain.  Il  suffit  de  se  référer à l’histoire  du  commerce  caravanier, la route de l’or et l’extension de l’Empire marocain  au-delà  du  fleu­ve du Niger jusqu ‘au royaume de Tombouctou.

En fidélité à cette dimension Pana­fricaine et tout en étant respectueu­se de la culture universelle de pro­tection des droits de l’homme dont les instruments aussi bien interna­tionaux (Déclaration universelle des droits de l’homme, Pacte internatio­nal des droits civils et politiques , Pacte international des droits éco­nomiques et sociaux) que régionaux (la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples [l] qui ont enregistré, depuis plusieurs années déjà, l’adhésion, la participation, la signature et la ratification du Ma­ roc, l’approche affiche expressément sa conformité aux normes interna­tionales en la  matière.

Mais, sa mise en œuvre ne peut être obtenue sans le concours de méca­nismes institutionnels de solidarité internationale. Celle-ci se justifie par le fait que les conséquences in­ duites par les mouvements de mi­gration climatique ne peuvent être supportées par les uns sans l’assis­ tance d’une communauté internatio­nale directement concernée par  ces cas de  « force majeure  » qui guettent l’humanité toute entière.

La lutte contre la discrimination  et la traite des êtres humains  se réali­se dans le cadre du droit interne. Mais, sur le plan pratique, elle né­cessite le concours d’une coopéra­tion régionale voire  internationale  en raison de l’existence de réseaux transfrontières du commerce et trai­te de l’homme . Elle suppose par ail­ leurs des moyens énormes en raison de la pression des attentes et des besoins des populations migrantes qui viennent s’ajouter aux attentes des populations autochtones.

C’est en vertu du principe de solida­rité « internationale  » que le Maroc a adopté cette politique volontariste de se transformer d’une zone de transit des migrants du sud vers les pays du nord en un pays d’accueil, avec tout le poids démographique, sécuritaire, socio-économique et des attentes à satisfaire, en dépit des difficultés dont pâtissent certains secteurs devant supporter des pres­sions supplémentaires .

N’y a t-il pas là un terrain où doit s’inscrire la dynamique de la coopé­ration multilatérale Nord-Sud; no­tamment pour ce qui est du partage des responsabilités qu ‘exige le mou­vement incontrôlé de déplacements et de migrations climatiques  ?

La politique marocaine  d’immigra­tion se doit de revendiquer la  création d’un « fonds de solidarité » à prendre en charge par les pays in­dustrialisés  qui,  plutôt  que   d’aider les pays du sud à développer les secteurs socio-économiques natio­naux adoptent des politiques protec­tionnistes contre la liberté de circu­lation des personnes et qui se tra­duisent souvent par l’expulsion des migrants  illégaux  et  la  fermeture  des  frontières.

Les fonds en question pourraient être destinés au financement des projets de mise à niveau sectorielle de l’économie marocaine pour assu­rer l’insertion et l’adaptation des migrants     dans    le tissu socioéconomique .

Le principe d’adaptation

Conçu au départ comme un moyen ou une ligne de conduite visant à adapter les populations aux nouvel­ les  situations   engendrées  par   les bouleversements climatiques (populations autochtones, migrants climatiques, réfugiés et autres dé­ placés pour diverses raisons), il sera invoqué comme exigence qui pèse sur les pouvoirs publics à l’effet d’a­dapter les migrants climatiques à l’ensemble des conditions sociales et économiques nationales : respect de la législation et des réglementations nationales   (Enjeu d’intégration).

Inversement, les politiques publi­ques  seraient  astreintes  à  prendre en charge les attentes des migrants aux nouvelles situations nées de l’accroissement des effectifs.  Si, dans le domaine de l’éducation et l’enseignement, les étudiants étran­gers (subsahariens surtout dont le nombre va  en augmentant  d’année en année) à côté d’autres popula­tions aux nationalités différentes bénéficient actuellement des mêmes avantages que les nationaux, il va sans dire que le problème  de  ces flux sera difficile à maîtriser pro­chainement. Les secteurs de l’édu­cation nationale et de la  santé sont les principaux domaines qui souf­frent d’avatars  et  de  retards  que l’on essaie à peine de  récupérer.

Le défi qu ‘oppose la migration aux secteurs sociaux revêt plusieurs aspects. Il est d’autant plus grave que les inerties endémiques du sys­tème éducatif marocain par exem­ple avec sa faible inclusivité, le blo­cage de sa fonction sociale et écono­mique, l’aggravation des abandons sans qualification , les hésitations et les inconstances de ses réformes risquent d’êtres compromis davan­tage avec l’afflux des migrants . Le secteur de la santé publique risque à son tour d’être confronté aux mê­mes aléas des effectifs et l’effort de financement nécessite une nouvelle manne.).

Parmi les règles que la stratégie marocaine doit prendre en considé­ration  dans le cadre  de  sa  mise  en œuvre et en respect du droit international de protection des migrants, à l’instar des populations autochtones, le principe de précaution évolue de manière considérable et sa pertinence condamne les politiques publiques à être plus réalistes aussi bien à l’égard des nationaux que vis-à-vis des étrangers. En voici sa substance :

Le principe de précaution

La doctrine contemporaine de l’environnement soutient que le principe de précaution réalise une métamorphose sans pareil en passant de la catégorie des grands mythes de l’utopie jusqu’à «devenir une référence de politique publique, puis un principe général sans valeur normative, enfin

une véritable norme juridique »[2].
Il est ainsi admis – par delà les réserves sur l’usage excessif susceptible d’en être fait pour justifier certaines situations, positions ou même des précédents judiciaires ou juridictionnels dans l’ordre interne- qu’il est particulièrement adapté au domaine de la protection de l’environnement où il a été aisément invoqué par la Déclaration de Rio de 1992 dans son
principe 15 : « Pour protéger l’environnement, des mesures de précaution doivent être largement appliqués par les États selon leurs capacités. En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement »[3]
L’absence de certitude sur la survenance de dommages ou catastrophes climatiques ne doit donc pas empêcher, ni les États, ni la Communauté internationale de prendre les mesures de prévention même contre l’imprévu.

La règle ou principe de prévision

Prévoir les équipement nécessaires, les aménagements qui s’imposent et les conditions environnementales et écologiques saines pour permettre à la population de jouir du droit d’accès à l’eau potable, à l’air pur et à l’utilisation des parcours écologiques (parcs et jardins, arbres et verdure selon une normalisation internationale dont s’inspirent la législation et la réglementation nationales) fait partie des devoirs des Etats, garants des droits substantifs des citoyens.

La jouissance de ces droits est accompagnée par des instruments de mise en œuvre que sont les droits procéduraux dont le droit à l’information sur l’environnement et les modifications qui affectent ce dernier. Celles-ci sont généralement décidées soit par les collectivités locales soit par
les représentants de l’Etat lui-même dans le cadre de la politique d’aménagement du territoire (plans d’occupation des sols, plans d’aménagement, schémas directeurs d’aménagement urbain, schémas d’armature rurale, schémas de développement régional…).
La création la même année (en 2013) du Ministère chargé des Affaires de la Migration, l’annonce officielle de l’opération de régularisation de la situation administrative des étrangers en séjour illégal au Maroc et la distribution du premier lot de cartes de séjour aux demandeurs d’asile et leurs familles sont des décisions qui ont pris de court les pouvoirs publics en raison de l’absence de mesures d’accompagnement. Conséquence : des milliers de réfugiés et migrants s’adonnant à la mendicité –acte interdit par le code pénal marocain bénéficient d’une liberté « sauvage et incontrôlée » d’aller et de venir, de s’installer et de dormir dans la rue même qu’ils occupent en famille.

Le principe de prévention

Il s’agit des règles relatives à la prévention des catastrophes et des divers risques à caractère climatique.
Les politiques publiques doivent édicter les mesures réglementaires portant interdiction de procéder aux constructions et à l’habitat dans les vallées, les lits de fleuves dormants ou aux rivages présentant un risque potentiel ou éventuel et ce, même en l’absence d’indices fiables de survenance de crues, de hausse du niveau de la mer ou de tempêtes annonçant un changement quelconque. Généralement, c’est la législation sur l’urbanisme et l’aménagement du territoire et celle relative au littoral qui définit les principales orientations de l’action publique dans le domaine de la prévention de la précaution et celui de l’adaptation. Le plan du littoral par exemple prévoit, entre autres :

  • les mesures à prendre pour prévenir, lutter et réduire la pollution du littoral. L’objectif est de mettre en œuvre une gestion intégrée et durable du littoral en vue de sa protection, de sa mise en valeur et de sa conservation.
  • préserver l’équilibre des écosystèmes du littoral, la biodiversité et de protéger le patrimoine naturel et culturel, les sites historiques, archéologiques, écologiques et les paysages naturels [4].
Il s’agit des règles relatives à la prévention des catastrophes et des divers risques à caractère climatique.
Les politiques publiques doivent édicter les mesures réglementaires portant interdiction de procéder aux constructions et à l’habitat dans les vallées, les lits de fleuves dormants ou aux rivages présentant un risque potentiel ou éventuel et ce, même en l’absence d’indices fiables de survenance de crues, de hausse du niveau de la mer ou de tempêtes annonçant un changement quelconque. Généralement, c’est la législation sur l’urbanisme et l’aménagement du territoire et celle relative au littoral qui définit les principales orientations de l’action publique dans le domaine de la prévention de la précaution et celui de l’adaptation. Le plan du littoral par exemple prévoit, entre autres :
  • les mesures à prendre pour prévenir, lutter et réduire la pollution du littoral. L’objectif est de mettre en œuvre une gestion intégrée et durable du littoral en vue de sa protection, de sa mise en valeur et de sa conservation.
  • préserver l’équilibre des écosystèmes du littoral, la biodiversité et de protéger le patrimoine naturel et culturel, les sites historiques, archéologiques, écologiques et les paysages naturels [5].
La pratique interne des États dans le domaine de la protection des populations et des zones vulnérables au changement climatique doit s’aligner sur le contenu des recommandations, résolutions, accords et conventions, protocoles internationaux adoptés par la Conférence des Parties. Les règles de protection du climat et de l’environnement revêtant une priorité vitale doivent constituer une base légale aux politiques publiques nationales d’autant plus que les instruments juridiques internationaux précités encouragent les États dans ce sens en leur réservant les financements requis pour la réalisation des projets inscrits dans les stratégies de développement durable et de protection de l’environnement. La seule condition est l’évaluation raisonnable et justifiée des besoins qu’exige la situation.

Source : Maghreb Canada Express, Vol. Xiv, N°09, Septembre 2016, Pages 15-16

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