A l’issue d’un vote sans aucune surprise, un vote dont le résultat était quasiment connu puisque  concocté d’avance, Abdelhakim  Benchamach a été élu par  le Conseil National, au poste de secrétaire général du PAM, en remplacement d’Ilyas El Omari, qui a présenté sa démission en août 2017, soit quelques jours seulement après le discours royal, très critique à l’égard de la classe  politique marocaine et de l’administration publique.

Réunie à Salé, le  26 mai 2018, la session extraordinaire du Conseil National (CN) du PAM (parlement du parti) a validé, auparavant, la démission d’Ilyas El Omari, pour ouvrir la voie   à l’élection d’un nouveau  secrétaire général.

A l’issue du vote, Abdelhakim  Benchamach a été aisément élu nouveau secrétaire général du PAM en obtenant 439 voix favorables, soit 81,75% des voix exprimées. Par conséquent, les cinq autres candidats en lice n’ont pu réaliser, ensemble,  qu’un très faible score agrégé, puisqu’ils n’ont pu  s’attribuer que 98 voix, soit 18,25% des voix exprimées par les membres du Conseil National. Ainsi, Abdelhakim Benchamach s’est accaparé d’n mandat qui en fait  le 5ème SG du PAM, après Hassan Benaddi, Mohamed Cheikh Biadillah, Mustapha Bakoury et Ilyas El Omari. Par conséquent, quatre SG se sont succédé à la tête du PAM, en 10 ans d’existence. Ce qui nous pousse  à penser que le PAM souffre, vraiment,  d’une profonde crise de leadership. En effet, le PAM est un groupe cosmopolite, éclectique. C’est un ensemble hétérogène regroupant des ex-militants de la gauche radicale, des ex-syndicalistes farouches à une certaine période, des fils et filles de notables qui étaient à la recherche d’un cadre légal qui leur permet de protéger leurs privilèges et intérêts, ainsi qu’une cohorte d’opportunistes insatiables qui aspiraient à une ascension et une promotion sociale  fulgurante,  grâce à une proximité avec le  vrai centre  du pouvoir de décision au Maroc. Ce format particulier exige des profils pointus que le PAM n’a pas ou  n’a pas pu promouvoir ou développer, à cause d’une mauvaise gestion du parti.

Par ailleurs, il convient de souligner que le CN du PAM compte 1076 membres.   Autrement dit, le taux d’abstention  enregistré était de l’ordre de 50%. En d’autres termes, ceci  veut dire que la moitié des membres du CN a préféré ignorer ce scrutin. En outre, cette faible mobilisation lors du scrutin ne peut signifier qu’une seule chose, à savoir  qu’Abdelhakim Benchamach n’est pas le candidat consensuel souhaité et  l’homme de l’étape. Le PAM qui traverse une période de crise, n’est ni audible ni visible sur l’échiquier politique national  depuis un bon moment et ce, à cause de la « démission à moitié » d’Ilyas El Omari, aurait besoin d’un vrai leader, d’un vrai meneur d’hommes, un homme  de consensus, fort,  mobilisateur de foules et fédérateur.

 Mal élu, malgré son score apparemment  large et sans appel, Abdelhakim Benchamach a déjà du pain sur la planche puisqu’il doit convaincre ceux qui ont préféré s’abstenir de participer au vote avant d’aller chercher le soutien  des bases  et l’appui  de l’électorat actuel et potentiel du parti. Abdelhakim Benchamach qui doit tout à l’exploitation d’un événement tragique et au ferme soutien d’Ilyas a-t-il les compétences humaines et autres pour dénicher les solutions appropriées aux multiples  anomalies et dysfonctionnements dont souffre le PAM (depuis sa création) et partant, d’être en mesure de réparer le moteur, apparemment en panne,  du tracteur ?  En attendant le bilan réel et concret qui nous permettra de répondre à cette question en toute objectivité, nous pouvons, d’ores et déjà, fournir quelques indices, des faits et des données   qui peuvent nous aider à avoir une idée, même approximative, sur  le bilan prévisionnel  d’Abdelhakim Benchamach.

Le tremblement de terre à Al Hoceima en février 2004 : un événement dévastateur qui  provoqua le retour en politique d’Abdelhakim Benchamach et lui offrit l’opportunité d’avoir une place privilégiée au sein de la classe politique marocaine :

Abdelhakim Benchamach a vu le jour le 12 septembre 1963, au sein d’une famille pauvre, dans une petite commune rurale de la région du Rif (Béni ou Ait  Bouayach), située  aux environs de la ville  d’Al Hoceima. Il quitta prématurément les bancs de l’école  et ce, avant même de terminer le cycle primaire. Quelques années plus tard, il recouvra sa chaise d’écolier, ce qui lui a permis d’obtenir son baccalauréat, en 1984,  dans un établissement, sis à Al Hoceima,  spécialisé dans l’enseignement originel basé sur les disciplines islamiques  et la langue arabe. La même année, il intègre la faculté de droit d’Oujda où il a commencé à  militer en adhérant à l’UNEM (Union  Nationale des Étudiants du Maroc) qui regroupa à l’époque  des éléments  de la gauche radicale et des étudiants séduits par  l’idéologie marxiste-léniniste, l’idéologie dominante au sein de l’université marocaine au cours des décennies 60 et 70 du siècle dernier.

Arrêté au cours de sa première année à l’Université et plus exactement en 1984, Abdelhakim, plus connu par  Hakim,  a été incarcéré pendant deux ans à  la prison d’Oujda, ville située à l’Est du Maroc près de la frontière avec l’Algérie. Mais, cela ne l’a pas empêché d’obtenir, quelques années plus tard,  une licence en sciences politiques  avant de regagner Rabat pour y poursuivre ses études de 3ème cycle universitaire. A Rabat, il se déconnecta du réseau des militants et s’éloigna complètement de la vie politique pour se consacrer aux études.

En février 2004, Al Hoceima  et sa région  ont  été sévèrement  secouées par un terrible tremblement de terre qui a surpris la population en pleine nuit. Ce qui a causé la mort de plus de 600 personnes et l’effondrement de plus de 2500 maisons, surtout en milieu rural. Pour soi disant coordonner les efforts visant la reconstruction des maisons détruites  dans  toute la région  ravagée  par ce séisme,

Hakim Benchamach  a été invité  à contribuer aux efforts visant  la création, avec d’anciens  amis issus de  la région du Rif, de l’Association du Rif pour la solidarité et le développement ( ARID). Cette association qui avait officiellement pour objectif de collecter des fonds  pour venir en aide aux centaines des victimes de ce séisme, a été présidée et pilotée  par Ilyas El Omari qui a choisi un quartier chic de Rabat ( Agdal ) pour accueillir le siège de ladite association.

En fait, ARID avait pour objectif primordial de barrer la route aux islamistes et surtout au PJD,  qui avaient  là l’opportunité  de chercher des niches  pour un électorat fidèle  et entièrement engagé. Hakim a pu ainsi travailler pendant des années, côte à côte,  avec Ilyas El Omari, qui voulait faire de cette association le fer de lance et le cheval de bataille contre le PJD et ses paniers alimentaires, intelligemment utilisés par ses bras humanitaires et son outil de prédication. L’enjeu était d’une extrême importance  aussi bien pour le PJD que pour  El Omari, et surtout tous ceux qui ont misé sur lui pour en faire un relais unique et incontournable avec les autorités locales, et entre le centre ( Rabat) et la région du Rif,  car il s’agit de la mainmise sur une région, traditionnellement frondeuse   et qui n’ jamais pu  cicatriser les plaies d’un passé sanglant, marqué par des atrocités et des abus dont a été victime la population qui peuplait le Rif, une des régions les plus belles du Maroc.

Malgré les énormes moyens financiers mis à leur disposition, le soutien ferme   des autorités locales et  centrales, au plus haut niveau, Ilyas El Omari   et ses anciens amis de la région n’ont rien fait de déterminant et de décisif. C’est pourquoi, Ilyas El Omari et le PAM ont été vivement critiqués par les masses populaires pendant la version marocaine   du  printemps arabe (février –Mars 2011).

Le Hirak du Rif, que l’Etat a essayé d’étouffer en recourant à  des arrestations massives et arbitraires et des procès- fleuves, obligea Ilyas à disparaitre momentanément du « champ visible » pour recouvrer le rôle où il a excellé : Tirer les ficelles tout en restant  complètement invisible et inaudible. Abdelilah Benkirane, l’ancien chef de gouvernement et l’ex-SG du PJD a gagné le pari en réussissant à faire sortir Ilyas de l’ombre.

Ce dernier aurait  presque tout perdu en montrant clairement qu’il n’a pas, encore,  de l’étoffe et les compétences qui lui permettent d’être un leader politique capable d’opérer dans un champ politique  éclairé par des projecteurs qui ne laisseraient aucune place aux soutiens « invisibles mais déterminants », aux magouilles et d’autres procédés louches. La carrière politique d’Ilyas aurait été amorcée en exploitant les souffrances et les larmes  des gens (tremblement de terre de 2004).

Al Hoceima et ses malheurs ont fait la carrière politique d’Ilyas El Omari et de ses anciens amis dont Hakim Benchamach, que les détracteurs du PAM  appellent le clan rifain. Un autre séisme ravageur, mais d’une autre nature puisque d’origine humaine (le Hirak du Rif) risque de  défaire la carrière politique de ce clan  car en politique,  les magouilles et les mauvaises manœuvres ont une vie courte et des effets pervers, qui risquent de retourner contre ceux qui les ont initiés.

Dupés par des résultats peu probants de l’ARID, Ilyas et Benchammach ont revu à la hausse le plafond de leurs ambitions

En 2008, Hakim Benchamach a été invité à participer au  lancement  du MTD (Mouvement pour  tous les Démocrates), initié par Fouad Ali El Himma, ami de classe et conseiller du Roi Mohammed VI. Par la suite, le noyau dur qui regroupa les 11 membres fondateurs du MTD dont Hakim Benchamach et surtout Ilyas El Omari, a servi pour former, en août 2008,  le PAM   dont le premier secrétaire général n’est autre que Hassan Benaddi, un ex professeur de philosophie, un ex militant de gauche qui a préféré abandonner la politique au profit du militantisme syndical.

En 2015 et contre toute logique convaincante ou du moins acceptable, Benchamach a été élu président de la Chambre des Conseillers, chambre haute du parlement marocain. Une élection qui a fait de lui la quatrième personnalité dans l’ordre protocolaire du Royaume du Maroc. A ce sujet, il sied de rappeler que lors  du vote qui a permis à  Benchamach d’accéder au perchoir, le PAM ne disposait que de 23 conseillers  sur les 120 parlementaires que comptait la Chambre des Conseillers, soit moins de 20% de l’effectif  total.

L’élection de Hakim Benchamach à la présidence de la Chambre des Conseillers fait partie d’une stratégie globale adoptée par le PAM et dont l’objectif stratégique « est d’endiguer la marée islamiste »  en s’emparant, d’abord,  des principales institutions constitutionnelles marocaines dont notamment les institutions législatives et les régions à cause  des larges prérogatives qui leur sont allouées au détriment des Mairies et des Communes.  Son élection à la présidence du parti du tracteur, est un des maillons  de la même stratégie. Hakim Benchemach qui n’a pu affronter une petite représentation du PJD à Yaâcoub El Mansour, un quartier pauvre de Rabat, alors qu’il y présidait  le conseil d’un arrondissement (2009-2015), serait-il en mesure de lutter contre le rouleau compresseur et la machine électorale du PJD ??

Pour anéantir ou au moins atténuer la domination du courant islamiste et « l’Islam politique », la verve et les propos anti PJD ne suffisent pas.  Il faut autre chose dont notamment le sérieux, la rupture avec le double langage et la réponse claire et sans équivoque  à la question de l’enrichissement rapide de certains membres influents du PAM, une question qui reste toujours d’actualité. Pour le moment, le PAM qui dispose du  principal  groupe d’opposition à la Chambre des Représentants, n’a pu réaliser qu’un seul objectif à savoir   le renforcement  de  la balkanisation du paysage politique marocain.

Le leadership de Hakim Benchamach  est-il le choix qu’il fallait opérer pour que le  PAM en réalise d’autres dont notamment la remise en question de l’hégémonie  et de la suprématie du PJD ? Une question qu’on se pose aujourd’hui en attendant la réponse qui ne peut être livrée que par les résultats qui découleront du bras de fer engagé entre le PAM et le PJD.

 La sérénité débordante  dont a fait preuve Hakim Benchamach durant la période fixée pour le  dépôt de candidatures pour l’élection du successeur d’Ilyas El Omari était un des signes qui montraient  que tout aurait  été minutieusement élaboré, d’avance,   pour que le PAM  reste sous l’emprise  et le joug du «groupe rifain» et de « la gauche caviar ». C’est la formule par laquelle le  PAM compte affronter le PJD ?

Par Ahmed Saber pour Maghreb Canada Express, pages 10 et 11, Vol. XVI, N° 06, Juin 2018

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