«Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots  » (D’après Martin Luther King).

À l’heure de la mondialisation, à l’heure du multiculturel et des échanges entre les peuples, aborder la question du vivre ensemble est une manière de préserver les états-nations tout en les rendant ouverts.

Catherine Rouhier, psychologue à l’école de la paix de Grenoble disait : « Vivre ensemble ne va pas de soi et il faut répéter que cela s’apprend. On pourrait décliner un certain nombre de définitions de ce vivre ensemble. C’est :

  • Promouvoir des valeurs;
  • Développer la solidarité;
  • Réorganiser notre vie commune sur la terre;
  • Former à la citoyenneté;
  • Prévenir les conflits;
  • Respecter les cultures, les religions;
  • Renforcer la volonté des individus à être des acteurs;
  • Apprendre à chacun à reconnaître en l’Autre la même liberté qu’en soi même… »

Qui dit tolérance, dit aussi réciprocité. La tolérance n’est pas une « bienveillante indulgence », simple manifestation d’une supériorité faite de condescendance. Pour se montrer tolérant, il est nécessaire de pouvoir croire sincèrement à un autrui qui a la même valeur que soi (principe d’égalité), dans toute sa différence. La tolérance est le contraire de la méfiance, de la suspicion, c’est aussi le contraire de l’indifférence.

Être tolérant c’est aussi un acte politique lorsqu’une société accepte de reconnaître la pluralité sous ses formes : ethnique, religieuse, philosophique, politique, et sexuée. Cette reconnaissance est fondamentale, elle est de l’ordre du devoir éthique, le ciment de toute démocratie qui favorise l’expression de toutes ses composantes.

Dans la première moitié du siècle dernier, le concept d’assimilation prévalait. Concept par lequel les immigrés italiens, grecques, portugais sont devenus Canadiens sans difficultés majeures. Selon ce principe, l’étranger adopte l’identité canadienne pour se mêler au peuple qu’il a choisi de rejoindre et en faire pleinement partie.

Cette conception a été abandonnée dans les années soixante-dix et quatre-vingt pour laisser la place au principe d’intégration selon lequel l’étranger peut conserver son identité d’origine mais doit s’adapter aux coutumes et aux règles du pays qui l’accueille afin de s’y insérer au mieux.

Or, depuis que l’islam est devenu une composante quasi-dominante du phénomène migratoire, cette seconde conception a elle aussi été abandonnée pour une troisième formule, celle du Vivre ensemble. Notion que l’on rabâche aux Québécois à longueur de journée et qui renvoie sans le dire à une vision communautariste : chacun conserve son identité, ses coutumes et ses valeurs, mais tous doivent se tolérer mutuellement, s’accepter et même s’aimer pour vivre ensemble harmonieusement sur le même sol.

Les Suédois, qui sont manifestement en pointe sur cette question, ont été, il y a quelque temps, la cible d’une campagne d’opinion sous forme de message publicitaire télévisé pour leur expliquer ce processus. « Il n’y a plus de retour en arrière, est-il expliqué dans ce film, la Suède ne sera plus jamais comme avant.  Il est temps de réaliser que de nouveaux Suédois vont venir avec leur culture, leur langue et leurs traditions… Ce “nouveau pays” forme un nouvel avenir. Être suédois doit être accepté non plus comme une question de couleur de peau et lieu de naissance. Cela doit pouvoir être toi, moi et tous ensemble. Ce ne sont pas uniquement les nouveaux Suédois qui doivent s’intégrer. Tout le monde doit s’intégrer, même les Suédois de souche. ».

Dans ce contexte social tendu, comme le démontrent plusieurs études sociologiques, le discours politique sur l’immigration et l’instrumentalisation de la laïcité servent de façon significative à stigmatiser une religion (l’islam) ou plus récemment une ethnie particulière (ex : les Roms en France) et mettent à mal la cohésion sociale. Les difficultés à vivre ensemble seraient ainsi inhérentes à des populations particulières qui ne seraient pas à même de partager des idées communes ou un espace commun.

Le débat ainsi posé nous amène à la question que pose Alain Touraine, sociologue français, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, dans son livre Pourrons-nous vivre ensemble ? Égaux et différents. En plus de respecter les règles de vie sociales de base, il propose deux transformations fondamentales : celle de l’individu en devenant Sujet de son histoire et, dans un second temps, celle des institutions pour initier un changement de vie social sur le mode de la société multiculturelle.

Pratiquer la laïcité comme l’ouverture à la compréhension de l’autre, c’est accepter les différences dans le respect du pluralisme sans distinction de sexe, d’âge, d’origine, de conviction, de culture et de situation sociale. Œuvrer pour la laïcité, c’est réaffirmer la liberté d’expression de chacun, contre toutes formes d’obscurantisme, de discrimination, d’exclusion et d’injustice. Cette formation apporte à l’application de la laïcité une véritable dimension éducative.

La laïcité se trouve actuellement réclusionnaire de l’instrumentalisation par les identitaires, elle est détournée par les laïcistes qui entendent claustrer l’expression religieuse à la sphère privée. Elle est dénaturée par des extrémistes religieux qui n’acceptent pas les valeurs démocratiques et égalité des sexes ou les tournent à leur profit. Pourtant, malgré les coups d’éclat, le pari d’un pluralisme religieux apaisé n’est pas hors de portée. Pour y parvenir, notre laïcité – à condition de la considérer d’abord comme un principe de liberté – est un atout dans un monde ouvert, dans une société bousculée par les transformations culturelles et éthiques.

Laïcité et liberté:

  • La laïcité, c’est la liberté de conscience qui inclut la liberté de religion. La liberté de conscience est celle de croire, de ne pas croire, de changer de conviction ou de n’en afficher aucune.
  • La laïcité n’est pas une opinion, c’est la liberté d’en avoir une. Avant 1905, les français étaient obligés de se déclarer catholiques, protestants ou juifs. Aucune autre conviction n’était reconnue, encore moins l’absence de conviction ! Après 1905, la liberté de croire, de ne pas croire, de se moquer, de critiquer ou de juger les convictions d’autrui est assurée par la République et les autorités publiques ont obligation de veiller à son respect.
  • La laïcité, c’est le libre exercice des cultes.  Article 1er de la loi du 9 décembre 1905 : « La République garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public ». Les religions peuvent exiger qu’on les protège du mépris et de la vindicte, pas de la critique, ni même du blasphème. Car ce que l’État offre, c’est la protection de la liberté des croyants, pas la limitation de celle des non croyants.
  • La laïcité, permet la libre expression de ses convictions : en privé, en public, individuellement et collectivement, dans le respect de celles d’autrui et dans les limites de l’ordre public car il n’y a pas de droits sans devoirs. C’est aussi la liberté de pouvoir s’émanciper de ses appartenances et croyances d’origines. La laïcité est libératrice.
  • L’article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales indique : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites ».
  • Et, concernant le cadre dans lequel ce droit peut s’exercer : « la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui – prévues par la loi – constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

 Laïcité et égalité :

  • La laïcité, c’est l’égalité des hommes et des femmes devant la loi, quelles que soient leurs origines, leurs convictions, leurs appartenances et leurs identités. La laïcité aime et respecte la diversité individuelle et collective si elle ne s’oppose pas à la création des liens qui fondent le sentiment d’une appartenance commune. La laïcité est compatible avec les communautés (qui visent le partage et la solidarité) mais incompatible avec le communautarisme (qui prône la ghettoïsation et/ou le rejet d’une République indivisible, laïque, démocratique et sociale).
  • Il n’y a pas de religion d’État. Aucune religion ne peut exiger de droits particuliers pour ses adeptes et nul ne peut se prévaloir de son appartenance religieuse pour refuser de se conformer aux règles communes. Enfin, si l’autorité publique peut – dans certaines circonstances – prendre en compte les convictions religieuses des citoyens, elle n’a pas à les prendre en charge.
  • L’État laïc, c’est la séparation de la religion et de l’État. L’État est neutre à l’égard des convictions religieuses ou spirituelles. Article 2 de la loi du 9 décembre 1905 : « la République ne reconnait, ne salarie ni ne subventionne aucun culte… ». Cela signifie que l’État et les collectivités territoriales n’ont le droit de verser aucune aide financière publique à une association religieuse, ni pour son fonctionnement, ni pour la construction de lieux de culte. Cependant, il appartient à l’État de veiller à ce qu’aucune religion ne soit entravée de manière discriminatoire dans son exercice paisible quotidien.
  • La laïcité, c’est la neutralité de l’État avec, comme corolaire, l’égalité de traitement des usagers.
  • Il n’y a pas de religion d’État. Aucune religion ne peut exiger de droits particuliers pour ses adeptes et nul ne peut se prévaloir de son appartenance religieuse pour refuser de se conformer aux règles communes. Enfin, si l’autorité publique peut – dans certaines circonstances – prendre en compte les convictions religieuses des citoyens, elle n’a pas à les prendre en charge.
  • L’État laïc, c’est la séparation de la religion et de l’État. L’État est neutre à l’égard des convictions religieuses ou spirituelles. Article 2 de la loi du 9 décembre 1905 : « la République ne reconnait, ne salarie ni ne subventionne aucun culte… ». Cela signifie que l’État et les collectivités territoriales n’ont le droit de verser aucune aide financière publique à une association religieuse, ni pour son fonctionnement, ni pour la construction de lieux de culte. Cependant, il appartient à l’État de veiller à ce qu’aucune religion ne soit entravée de manière discriminatoire dans son exercice paisible quotidien.
  • La laïcité n’est pas une doctrine à laquelle on adhère ou non. On peut très bien être croyant, agnostique ou athée ET laïque en même temps. Un laïc a le sens du bien commun et l’amour des libertés fondamentales. Il recherche toujours le meilleur équilibre possible entre libertés individuelles et intérêt général, diversité et unité, indépendance et solidarité, droits et devoirs. Comme l’écrit Régis Debray : « La laïcité n’est pas une option spirituelle parmi d’autres, elle est ce qui rend possible leur coexistence, car ce qui est commun en droit à tous les hommes doit avoir le pas sur ce qui les sépare en fait. »
  • La laïcité de l’École offre aux élèves les conditions pour forger leur personnalité, exercer leur libre arbitre et faire l’apprentissage de la citoyenneté. Elle les protège de tout prosélytisme et de toute pression qui les empêcheraient de faire leurs propres choix. La laïcité assure aux élèves l’accès à une culture commune et partagée, permet l’exercice de la liberté d’expression comme du respect des valeurs républicaines et du pluralisme des convictions.
  • L’espace public c’est la sphère de l’autorité publique et des services publics, c’est celui qui produit et applique le droit (sécurité, justice, enseignement, santé et protection sociale, etc.) et qui est en charge de l’intérêt général. Il est rigoureusement neutre à l’égard des usagers, « aveugle » aux croyances et à leurs pratiques, aveugle aux communautés qui existent dans la société civile, mais il n’est pas antireligieux. Rappelons qu’en tant que tel l’usager du service public n’est pas soumis à l’exigence de neutralité religieuse. Quelques rares exceptions sont prévues cependant (jurés d’assises, visiteurs de prison, etc.).
  • L’espace privé, c’est la sphère personnelle, celle des intérêts particuliers, celle de l’intimité où chacun est libre de ses pensées, opinions, attaches, habitudes, singularités, croyances ou incroyances et de leur expression (ou refus de leur expression dans une neutralité choisie) dans les seules limites de la loi et du respect de l’ordre public. L’espace privé peut être « collectif » et s’étendre aux espaces partagés avec des parents, des amis et/ou des personnes ayant les mêmes opinions et convictions (ex : association 1901) ou la même religion.
  • L’espace civil ouvert au public, c’est celui de la vie sociale au quotidien, l’espace à l’usage de tous, l’espace commun où s’exercent les libertés individuelles et collectives, mais aussi l’espace de construction du « vivre ensemble » où chacun doit s’efforcer de préférer ce qui nous rassemble à ce qui nous sépare. Rappelons que l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 précise que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ».

Ce qui est contraire à la laïcité :

  • Confusion entre laïcité et athéisme. La laïcité, ce n’est ni une idéologie, ni une religion et encore moins l’athéisme (refus de tout dieu). Un « militant laïc » est quelqu’un qui lutte pour faire appliquer la loi qui s’impose à tous pour mieux « vivre ensemble », qu’il soit lui-même croyant ou non croyant. La laïcité a offert la liberté à toute les religions (ce n’était pas le cas avant la loi de 1905). Un État laïc n’est donc pas antireligieux : il veille seulement à empêcher « le cléricalisme », c’est-à-dire les tentatives possibles des religions pour imposer leurs lois, règles et morale particulières à l’ensemble de la société (par exemple sur le mariage, la contraception, la nourriture, etc.). Mais en aucun cas la laïcité ne doit être détournée contre une religion.
  • Confusion entre la loi et la religion. Ce qui est contraire à la laïcité, ce ne sont pas les religions, c’est la prétention de certaines à faire la loi, à s’imposer comme règles civiles ; c’est aussi la tentation de présenter le lien religieux comme le modèle du lien politique. Donc ce qui est opposé à la laïcité c’est de vouloir faire de la foi une loi civile ou, symétriquement, de vouloir faire de la loi civile un article de foi. Ajoutons que la laïcité ne protège pas seulement l’autorité publique de l’influence des religions, elle protège aussi l’indépendance des religions de l’autorité publique et protège les religions les unes des autres.

En conclusion :

Cette citation du Ministre français de l’Éducation Nationale (du 16 mai 2012 au 31 mars 2014), M. Vincent Peillon   est à mon humble avis, la meilleure conclusion : « La laïcité n’est pas une entrave à la liberté, mais la condition de sa réalisation. Elle n’est jamais dirigée contre les individus ni contre leur conscience, mais elle garantit l’égalité de traitement de tous les citoyens. Refusant toutes les intolérances et toutes les exclusions, elle est le fondement du respect mutuel et de la fraternité ».

Par  Nasser Bensefia pour Maghreb Canada Express,, pages 6-7, Vol. XVI, N°12 , Décembre 2018.

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