Dakar-cimetières-mixtes-MAu Sénégal, musulmans et chrétiens cohabitent, depuis bien longtemps, en toute harmonie et symbiose, offrant ainsi un exemple net du vivre-ensemble, de tolérance, du respect de l’autre et du dialogue inter-religieux.

Les deux communautés célèbrent, côte à côte, les mêmes fêtes et il n’est pas étonnant de voir des chrétiens faire le jeûne durant le Ramadan en guise de solidarité avec leurs concitoyens de confession musulmane ou de leur servir le repas de rupture du jeûne. De même, qu’il est tout à fait naturel que des musulmans vendent des objets de piété destinés aux fidèles catholiques ou assistent aux funérailles d’un chrétien.

L’originalité de cette cohabitation inter-religions qui ne peut être l’apanage du Sénégal, c’est qu’elle est poussée jusqu’au bout en transcendant le vécu quotidien pour s’étendre et donner lieu à des cimetières “mixtes” conçus pour accueillir les dépouilles des deux confessions. Une exception dans un pays à la quasi majorité musulmane (95 pc).

Ces cimetières mixtes, qui ne font pas de distinction de race, de religion, ou d’appartenance ethnique entre tous les citoyens, constituent un exemple vivant de l’entente religieuse au pays de la Téranga (hospitalité en Wolof local), dans un contexte géopolitique secoué par des crises et conflits confessionnels et ethniques.

Nombreux sont ainsi ces cimetières où musulmans et chrétiens sont enterrés côte-à-côte, à l’image du cimetière chrétien de Bel Air, à Dakar, du cimetière mixte de Guediawaye (banlieue de la capitale), ou ceux de Joal-Fadiouth, à une centaine de kilomètre de Dakar (près de 100 km de Dakar) et de Ziguinchor (sud), où reposent de grandes personnalités sénégalaises.

C’est au cimetière de Bel Air où est inhumé Léopold Sédar Senghor, le premier chef d’Etat du Sénégal (1963-1980) qui était de confession chrétienne. Et c’est le même cimetière qui abrite la tombe de Thierno Seydou Deme, imam de la première mosquée construite en dur au Sénégal en 1890, ainsi que plusieurs autres musulmans. Une proximité qui consacre et véhicule un message clair et sans équivoque consistant à accepter l’autre sans faire des émules entre les fidèles des religions monothéistes.

“Au Sénégal, le terme de dialogue islamo-chrétien n’a aucune valeur. Nous avons dépassé ce stade depuis bien longtemps, car nos ancêtres avaient une très bonne connaissance des préceptes de l’Islam, grâce au soufisme sunnite et au dogme achaarite”, explique cheikh Shérif Sy, deuxième imam de la mosquée omarienne de Dakar.

“La cohabitation pacifique entre tous les citoyens est notre devise. L’homme est un humain avant qu’il ne soit musulman ou chrétien, ou d’une toute autre religion”, a-t-il déclaré à la MAP, notant qu’au Sénégal, musulmans et chrétiens vivent en toute harmonie dans le même quartier, voire même sous le même toit.

“Dans les régions du Sud, du sud-est et du centre, il existe plusieurs familles composées de musulmans et chrétiens qui vivent dans le plein respect des convictions et confessions des uns et des autres”, a expliqué l’imam Sy, membre fondateur de la section sénégalaise de la Fondation Mohammed VI des Ouléma africains.

“Au lieu de parler de dialogue inter-religieux au Sénégal, nous vivons aujourd’hui une véritable intégration entre musulmans et chrétiens, laquelle se manifeste, en particulier, à travers les fêtes religieuses musulmanes et chrétiennes”, a-t-il poursuivi, relevant que même si les chrétiens sont une petite minorité au Sénégal (moins de 5 pc), ils bénéficient de tout le respect de la part des musulmans, grâce à une bonne compréhension de l’Islam.

“Le premier président du Sénégal était chrétien. Tout le monde se demandait comment un président issu d’une minorité chrétienne aurait-il gouverné un pays à majorité musulmane pendant plus de 20 ans sans aucun problème”, a-t-il enchaîné, relevant que Senghor entretenait de très bonnes rapports avec les leaders religieux et demandait régulièrement conseil auprès d’eux.

Même son de cloche chez l’Abbé Jacques Seck, à la retraite (84 ans), qui dit avoir découvert le dialogue inter-religieux depuis son village natal Palmarin (Côte ouest du Sénégal).

“Je suis l’un des rares chrétiens sénégalais à avoir étudié le Saint Coran en langue arabe classique”, note cet apôtre du dialogue islamo-chrétien, dont le portrait a été immortalisé par un documentaire intitulé “Abbé Jacques, prêtre musulman et imam chrétien”.

“Le dialogue inter-religieux nous le vivons. Il n’y a pas de théorie. Ma soeur ainée avait épousé le premier imam de Palmarin. Ensuite, mon père s’est converti à l’islam après ce mariage”, a-t-il rappelé dans une déclaration à la MAP.

“A Palmarin où je suis né, le cimetière est commun, à Fadhiou où j’ai été vicaire, le cimetière est mixte aussi, alors qu’à Dakar, les cimetières sont séparés depuis longtemps”, a expliqué l’Abbé Jacques, célèbre par son style de prêche mélangeant les versets du Saint Coran aux paroles de l’Evangile.

Dans les villages, “il n’y a pas de séparation, car c’est la même famille qui est à la fois chrétienne et musulmane”, a-t-il fait observer.

“L’esprit fanatique n’est pas encore là. Nous refusons que les gens nous divisent au nom de la religion, car nous étions déjà unis avant l’arrivée des religions”, a-t-il martelé, soulignant que le premier président du Sénégal, Léopold Sédar Senghor, dont la mère était musulmane, tenait à répéter son rejet de la division sur la base de l’appartenance religieuse.

En définitive, cet exemple rare et unique en son genre de sagesse et de brassage religieux pourrait servir de modèle, à bien des égards, afin d’endiguer les conflits inter-religieux et ethniques qui déchirent le monde, notamment dans le continent africain.

Source : Rachid Maboudi (MAP, 26 juin 2019)

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