La proximité dans le temps de l’ascension de la dynastie Alaouite au Maroc, et le premier recensement en Nouvelle-France de 1666, est une coïncidence trop importante pour être ignorée.

Il y a de nombreuses années, voulant combler le vide de savoir causé par l’éducation sélective de l’école de l’Alliance Israélite Universelle au Maroc, dans lequel on m’enseigna plutôt sur « nos ancêtres les Gaulois » que sur l’histoire du Maroc, ou de celle des Juifs du Maroc – mes ancêtres, je me mis à lire tout livre sur le Maroc que je pu trouver, que celui-ci soit en français, en anglais ou en hébreu.

Étant bibliophile, je décidai d’acquérir plutôt que d’emprunter ces livres – j’ajouterais que, contrairement à la légende urbaine,  il existe un vaste corpus d’écrits traitant de l’histoire du Maroc, publiés par des auteurs français et anglais et bien sûr par des auteurs arabes et juifs.

Ces œuvres incluent : « Voyage dans l’empire du Maroc » de Jan Potocki, publiée en 1792, « Histoire Sommaire Des Sa’Diens Au Maroc » de Chantal De La Veronne, publiée en 1997, « Mogreb-El-Acksa – A Journey In Morocco », de R B Cunninghame Graham, publié en 1898, « Histoire du Maroc » de Bernard Lugan, publié en 2000, et bien sûr « Juifs et Musulmans au Maroc » de Mohammed Kenbib, publié en 1994 et « Mille Ans De Vie Juive Au Maroc » de Haim Zafrani, publié en 1983.

Lire l’histoire de chacune des huit dynasties marocaines, la durée de leurs règnes, leurs réalisations, et les monuments qu’elles ont construites (et détruites), s’avéra suffisant pour comprendre les 1200 années d’histoire d’un Maroc continuellement indépendant – une d’indépendance qui fut interrompu par un protectorat de 44 ans au début duquel le maréchal Hubert Lyautey a pris Oujda – je doute que c’était pour son amour de la musique Gharnati.

En lisant les journaux personnels tenus par les voyageurs parmi les écrivains cités ci-dessus, un témoignage récurrent apparaît, à savoir celui de la cohabitation entre peuples de différentes races et confessions, de l’ouverture à l’égard des étrangers et de la relation symbiotique entre la classe dirigeante et le peuple, comme l’atteste le livre « Morocco As It Is », de Stephen Bonsal, publié en 1893.

Le classement des dynasties basé sur les témoignages de leurs niveaux de tolérance, leur acceptation et leur protection des minorités, montre qu’à partir du règne des Mérinides (1244 à 1465), la situation des minorités s’améliorât considérablement – en fait, en 1438, les Mérinides construisirent le premier Mellah près du palais de Fès afin de garantir la protection de la communauté juive.

En 1492, à la suite de l’expulsion des Juifs d’Espagne, les Wattassids (1472 à 1554) autorisèrent 30 000 Juifs Sépharades à s’établir au Maroc, et plus tard, après 1526, Abu al Abbas Ahmad ben Muhammad Wattassi autorisa les Juifs islamisés à revenir à leur religion.

Pendant le règne de la dynastie Saadi (1554 à 1659), les Juifs fournirent aux souverains le soutien financier nécessaire pour que ceci puissent consolider leur règne et stabiliser le Maroc – la victoire d’Abou Marwan Abd al-Malik Ier sur les Portugais était jusqu’à récemment célébrée comme jour de fête par la communauté juive.

C’est cependant sous le règne des Alaouites (1666 à nos jours) qu’un nouvel âge d’or débuta pour les minorités. Mohammed ben Abdallah qui régna de 1745 à 1757 relança la ville d’Essaouira et invita les juifs et les anglais à y commercer et à lancer une période fertile de commerce au Maroc, et entre le Maroc et l’Europe, tel que décrit dans le livre « Les Courtisans Juifs Des Sultans Marocains XIIIe – XVIIIe » par Nicole Serfaty, publié en 1999.

Les Alaouites ont non seulement renforcé, mais continuent à ce jour à soutenir le Beit Din – le tribunal rabbinique autonome qui régit les affaires religieuses telles que le mariage, le divorce et l’héritage dans la communauté juive au Maroc – voir  « The Mellah Society – Jewish Community Life in Sherifian Morocco » de Shlomo Deshen, publié en 1989.

Bien sûr, certaines dynasties ont traité leurs minorités avec mépris et discrimination allant jusqu’à la criminalité étatique – Heureusement, celles-ci ont été remplacées par des dynasties plus tolérantes et plus justes. Incidemment, pour ceux qui voient le monde à travers les chiffres, les statistiques montrent que le règne des dynasties qui ont été injustes et cruelles envers leurs minorités (et leur propre peuple) était relativement court, alors que celui des dynasties qui traitaient leurs sujets avec justice et dignité était considérablement long.

Preuves à l’appui – les règnes des dynasties fondamentalistes Almoravid et Almohad ont duré respectivement 87 ans et 103 ans, alors que celui de la tolérante dynastie Mérinide a duré 221 ans, et la bienfaisante dynastie Alaouite règne au Maroc depuis 353 ans.

Les Alaouites devaient avoir découvert déjà en 1666 que la longévité d’une dynastie dépendait directement de la gouvernance juste et équitable de tous ses citoyens, sans distinction de race ou de confession.

Qu’en est-il du Canada ?

Au Canada, après la mort de Samuel de Champlain en 1635, l’Église catholique et l’établissement jésuite espéraient établir une communauté utopique européenne et autochtone, et fondèrent Ville-Marie, l’actuelle Montréal. C’est probablement à ce moment-là que les fondements d’une société égalitaire et juste ont été posés.

Cependant, comme son successeur 250 ans plus tard au Maroc, la France s’empressa de prendre le contrôle direct des colonies en 1663, soit trois ans avant l’ascension de la dynastie Alaouite au Maroc.

Fuyant la persécution au 18e siècle en Europe, les mennonites arrivèrent au Canada, où ils trouvèrent un refuge où pratiquer leur religion et leurs coutumes. C’est ici qu’ils créèrent des écoles et des groupes de soutien social qui continuent à aider les minorités persécutées en Afrique et en Amérique du Sud.

Les Juifs séfarades eux se sont installés au Canada en 1759 – parmi eux se trouvaient Aaron Hart et Samuel Jacobs qui fut enregistré comme le premier résident juif du Québec où il était libre d’établir son commerce et de pratiquer sa religion.

En 1840, avant la guerre civile américaine, les esclaves africains suivirent le North Star sur le « Underground Railroad » (réseau de routes et de maisons de refuge) afin de retrouver la liberté au Canada.

Le célèbre écrivain et historien canadien Pierre Berton explique dans son livre « Promised Land » comment un million de personnes qui ont peuplé des milliers de kilomètres des prairies canadiennes en une génération ont changé l’avenir du Canada et en ont fait un havre unique pour les personnes fuyant la persécution.

Un pays où Bora Laskin – avocat, universitaire et juge canadien est devenu en 1973 le premier Juif à occuper le poste de 14e juge en chef du Canada, un pays où, en 2000, Ujjal Dosanjh, un Pendjab est devenu le premier sikh à occuper le poste de premier ministre de la Colombie-Britannique – L’Inde ou le Sikhisme fut fondé est encore à élire un Sikh au poste de Premier ministre.

C’est au Canada où Fatima Houda-Pepin est devenue en 1994 le premier membre musulman marocain de l’Assemblée nationale du Québec, et où en 2010 Naheed Nenshi – un musulman gujarati est devenu le maire de Calgary – la 4e ville en importance du Canada.

Le fait que le Canada ait la plus forte proportion de population née à l’étranger (20,6%) parmi les pays du G8, bien au-dessus des parts de l’Allemagne (13,0%) et des États-Unis (12,9%), atteste que le Canada est non seulement un pays d’accueils mais aussi un modèle de cohabitation et d’égalité.

Ainsi, comme l’a montré la dynastie Alaouite par sa philosophie de gouvernance juste et équitable de tous ses citoyens, sans distinction de race ou de confession, et comme l’a montré le Canada par son multiculturalisme et sa philosophie méritocratique à l’égard de tous ses citoyens, le secret de la longévité d’un régime n’est pas dans la réalisation de ses ambitions de conquête, mais plutôt dans sa volonté de servir équitablement tous ses citoyens.

Il n’est pas surprenant que plus de 96 000 Marocains toutes confession confondu, aient choisi de faire du Canada leur nouvelle patrie – eux et leur modèle de cohabitation ont sans doute grandement contribué à la philosophie du « vivre ensemble » qui fait la renommée du Canada.

Par Avraham El Arrar – Maghreb Canada Express, page 4, Vol. XVII, N°7 , JUILLET 2019

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