Je retiens de Chirac deux choses : le bruit et l’odeur et le refus de participer à la guerre de l’Irak. Je l’avais trouvé très bas et grotesque pour la première et très grand pour la seconde.

Le bruit et l’odeur

Dans les médias de l’époque, on parlait d’une simple petite phrase et d’un dérapage, mais en évoquant le « bruit et l’odeur » dans un discours sur les immigrés en 1991, et contrairement à une certaine intelligentsia bien-pensante, l’ancien président qui est décédé ce mois de septembre avait cessé d’exister pour moi déjà à l’époque.

C’était en juin 1991, à Orléans. Chirac, président du RPR et maire de Paris, assistait à une réunion-débat avec des militants du parti gaulliste. Pour illustrer son discours sur les immigrés, il lâche : « Le travailleur qui habite à la Goutte-d ‘Or et travaille avec sa femme pour gagner environ 15 000 francs. […] Sur son palier d’HLM, le dit travailleur voit une famille entassée avec le père, trois ou quatre épouses et une vingtaine de gosses, qui touche 50 000 francs de prestations sociales sans, naturellement, travailler. […] Si vous ajoutez à cela le bruit et l’odeur, le travailleur français, sur le palier, il devient fou. »

Sur le moment, on entend une partie de la foule applaudir et rigoler à cette évocation du « bruit » et de « l’odeur ».

En prononçant ce discours sur l’immigration, Chirac souhaitait attirer une certaine population d’extrême droite, car il était au plus bas dans les sondages.

En effet, à l’époque, le Front national (devenu aujourd’hui Rassemblement national) de Jean-Marie Le Pen était en progression à chaque élection, jusqu’à atteindre 14,39 % au premier tour de la présidentielle de 1988. « Le langage de Monsieur Chirac ressemblait beaucoup à celui de Le Pen », tacle le lendemain la Première ministre socialiste, Édith Cresson.

Également présente dans la salle, Lydie Gerbaud, la fidèle attachée de presse de l’ancien président pendant plus de vingt ans, est interrogée par de nombreux journalistes à l’issue du discours. « C’est une phrase qui lui a échappé, et ça ne correspondait absolument pas à son état d’esprit. Cette dernière qui a aujourd’hui 90 ans, maintient ses dires de l’époque.

Comme le rapporte le quotidien « Le Parisien », du 27 septembre 2019, à cette époque, « Certains accusent Jacques Chirac de racisme. Ce n’est pas d’être raciste que d’être cela, s’était lui-même défendu l’ancien président juste après sa phrase polémique.

Ses soutiens le défendent toujours en chœur. « Cette petite phrase pouvait laisser penser qu’il était raciste, mais je suis persuadé que non », estime Michel Brisson. Alain Juppé a lui assuré sur BFMTV : « C’était tout simplement la vérité! J’ai été élu de ce quartier [de la Goutte-d ‘or, NDLR], et j’ai fait la même constatation. Est-ce que ça veut dire qu’on est racistes? S’il y avait quelque chose qui était profondément étranger à Jacques Chirac, à ses idées, à ses convictions profondes, c’était le racisme et l’antisémitisme. ».

Selon Lydie Gerbaud, cette référence au « bruit » et à « l’odeur » colle mal avec Chirac, « l’homme le plus ouvert qui soit et qui aimait tout le monde ». « Il avait l’habitude de parler très librement. Il s’est rendu compte de cette phrase immédiatement après, quand on lui a fait remarquer. Il a répondu qu’il n’avait pas utilisé les bons mots », ajoute-t-elle avec de l’émotion dans la voix, près de 30 ans plus tard. »

Quoi qu’il en soit, Jacques Chirac, était un redoutable homme politique, qui n’hésitait pas à employer tout ce qu’il a en son pouvoir pour arriver à ses fins. Le pauvre Giscard d’Estaing en avait payé les frais. Jacques Chirac demandaient aux électeurs de droite de ne pas voter Giscard en 1981 quand il affrontait Mitterrand.

La guerre en Irak

Je me souviendrai toujours de ce10 mars 2003, Jacques Chirac  annonçait solennellement, aux 20 Heures de TF 1 et de France 2, qu’il opposera son veto à toute résolution de l’ONU autorisant la guerre contre l’Irak.

Un non cinglant adressé au président américain George W. Bush, qui rêve d’abattre le régime de Saddam Hussein à Bagdad. S’ils veulent la guerre, Bush et ses alliés, Tony Blair en tête, seront donc contraints de la mener en toute illégalité internationale, faute du feu vert onusien.

Jacques Chirac restera pour moi, le président qui a dit non à la guerre en Irak, un non qui confortera d’ailleurs sa popularité dans le monde arabe.

Chirac ancien soldat

Un ancien soldat fait-il un président pacifiste ? C’est un des paradoxes les plus intéressants de la personnalité chiraquienne : cet homme, dont la présidence restera marquée par son refus de voir la France se joindre aux Américains dans la guerre en Irak, était l’un des derniers chefs d’Etat français à avoir participé physiquement à un conflit militaire.

Ancien officier en Algérie, il avouait avoir passionnément aimé cette période d’aventure et de camaraderie masculine. C’est du moins ainsi qu’il en parlait aux journalistes et à ses biographes. Pas ou peu de souvenirs de sang, de douleur. Parti en avril 1956, quelques semaines après que le président du conseil, Guy Mollet, patron de la SFIO, élu deux mois plus tôt sur un programme pourtant ­pacifiste, eut obtenu de l’Assemblée nationale des « pouvoirs spéciaux » pour l’Algérie, il évoquait d’abord ce piton à la terre rouge auquel il avait accédé avec ses hommes.

Dans un entretien à Paris Match, le 24 février 1978, il confie : « L’Algérie a été la période la plus passionnante de mon existence. (…) On nous avait dit que nous étions là pour la bonne cause, et nous ne remettions pas cela en question. (…) Contrairement à ce que l’on peut penser, ce fut un moment de très grande liberté, et probablement un des seuls moments où j’ai eu le sentiment d’avoir une influence directe sur le cours des choses. Parce qu’il y allait de la vie d’hommes qui étaient sous mes ordres, et donc c’est le seul moment où j’ai eu le sentiment de commander. »

Son amitié avec la famille royale marocaine

Jacques Chirac a toujours témoigné son affection au Maroc. Le 23 juillet 1999, son grand ami le roi Hassan II s’est éteint des suites d’une attaque cardiaque. « Le monde perd un grand chef d’Etat, qui marquait de son empreinte, de son expérience et de son aspiration, les relations internationales. La France perd un ami très cher. Voici quelques jours à peine, Sa Majesté Hassan II nous faisait l’honneur et la joie d’une visite. Une fois encore, il s’était montré, au cours de nos entretiens, homme de vision et de paix », avait écrit Jacques Chirac dans une lettre de condoléances depuis Abuja, au Nigéria, où il était en voyage officiel. Au lendemain, à Rabat, le monde entier défile. Il y rejoint le cortège de monarques, présidents, ministres, ambassadeurs et amis de la monarchie pour rendre un dernier hommage au roi, sur l’esplanade du mausolée Mohammed V.

Un président qui aimait passionnément la France

« Nous nous reconnaissions tous en cet homme qui nous ressemblait et nous rassemblait», a déclaré Emmanuel Macron, lors d’une allocution en hommage à la mort de Jacques Chirac. Il a salué un «homme d’Etat que nous aimions autant qu’il nous aimait», un «chef qui sut représenter sa nation dans sa diversité et sa complexité», son engagement à «protéger courageusement contre les extrêmes et la haine», son discours du Vel d’Hiv par lequel «il sut reconnaître la responsabilité de la France» dans la rafle de milliers de juifs pendant la seconde guerre mondiale, ainsi que son opposition à la guerre en Irak. Il a aussi souligné la sensibilité pour le climat d’un Président «habité par la conscience du temps long […] refusant de tout son être que soit menacée la pérennité de la planète». Après avoir mentionné son attrait pour l’art, Emmanuel Macron a ajouté : «Jacques Chirac était un grand Français, libre, épris de notre terre» qui a «pendant des décennies tout connu de la vie politique de notre pays».

Par Mustapha Bouhaddar pour Maghreb Canada Express, page 11, Vol. XVII, N°10 , OCTOBRE 2019

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