Anas Abdoun

Anas AbdounAprès le renversement de Mouammar Kadhafi, la Libye s’est séparée en deux gouvernements au pouvoir. La Chambre des représentants basée à Tobrouk dans l’est du pays et (à partir de 2015) le gouvernement d’accord national internationalement reconnu basé dans la capitale historique, Tripoli.

Depuis lors, les Nations Unies s’efforcent de trouver une solution politique pour une Libye unie et démocratique, tout en évitant le type d’instabilité et de conflits régionaux qui peut être favorable aux groupuscules terroristes actifs dans le sud du pays au Mali et en Centrafrique.

Le 17 décembre 2015, les accords de Skhirat ont été signés au Maroc entre les représentants du Congrès général national et ceux de la chambre des représentants. Le gouvernement de l’Union nationale a alors nommé Fayez al-Sarraj Premier ministre, mais la Chambre des représentants basée à Tobrouk n’a pas accepté l’accord et a refusé de reconnaître le Premier ministre sous la pression du général Haftar.

Le Général Haftar, activement soutenu par l’Égypte, la France, la Russie et surtout les Emirats Arabes Unis, a pour ambition de conquérir l’Ouest Libyen avec pour but de solidifier le pouvoir autour de sa personne et d’éliminer ses ennemis politiques et ceux de ses sponsors qui sont les partis proches de l’islam politique actuellement au pouvoir à Tripoli.

Avec le soutien financier des Emirats Arabes Unis et logistique de l’Egypte, Haftar était donné largement gagnant dans la conquête de l’Ouest Libyen. Appuyé également par les mercenaires russes de la force Wagner et par les forces spéciales françaises, plusieurs considéraient que la capitale pouvait tomber après seulement un mois de combat.
La diplomatie néo-ottomane d’Erdogan

Cela aurait été probablement le cas sans le soutien massif et direct de la Turquie. Ankara a pris tout le monde de court en retenant la leçon de l’échec de sa politique syrienne, et, a ainsi accompli la politique du fait accompli en déplaçant sur le terrain libyen des mercenaires syriens, des conseillers techniques de l’armée turque mais surtout les redoutables drones de fabrication turque Bayraktar 2.

Avec une domination aérienne sans partage, le GNA, fort du soutien Turque, a non seulement résisté à l’offensive de Haftar mais a également réussi à mener une contre-offensive et reconquérir plusieurs villes libyennes reprises à  » L’Armée nationale Libyenne « .

Le soutien sans faille d’Ankara au gouvernement de Tripoli est politique mais renferme aussi de juteux intérêts économiques. Dans la nouvelle guerre d’influence qui se joue dans le Monde arabe, le paradigme des forces sunnites soutenues par l’Arabie Saoudite contre les forces pro chiites soutenu par l’Iran est complètement révolu. Dorénavant l’enjeu est de soutenir ou de tuer les courants de l’Islam politique. Parmi les ennemis jurés de cette idéologie politique se trouve l’Egypte, l’Arabie Saoudite et, en premier lieux, les Emirat-Arabes Unis.

Quant a ceux qui soutiennent le courant politique, nous retrouvons le Qatar et la Turquie.
Ankara qui a un gouvernement issu de la même mouvance idéologique depuis 2002 a tout intérêt a soutenir ces courant a travers le monde arabe comme un relais naturelle de son influence. C’est ainsi qu’elle a soutenu les frères musulmans en Egypte, en Syrie malgré leur défaite sur le terrain. Il est ainsi vital pour Ankara que l’Islam politique en Libye ne tombe pas sous le coup de la répression du pouvoir et finisse dans le giron d’influence de ses ennemis régionaux.

La deuxième raison de l’intervention massive d’Ankara dans les affaires libyennes est la découverte importante de gisement pétrolier offshore dans la méditerranée orientale. En effet le président Erdogan a signe avec son homologue libyen un accord de démarcation maritime qui a permis à Ankara d’étendre significativement la superficie de ses eaux territoriales (+ 30 % de son plateau continental), au détriment des autres pays riverains comme l’Égypte, la République de Chypre et la Grèce. Enfin il est évident que le camp qui parviendra à unifier la Libye favorisera ses alliés dans la prospection et l’exploitation des nouveaux gisements de gaz découvert en Libye.

Paris et la colère coloniale

Dans cette guerre d’influence c’est récemment Paris qui a tenté auprès de ses allies de l’OTAN une offensive diplomatique contre la Turquie. En effet, en plus d’être à l’initiative politique et militaire du renversement de Kadafi, la France en mauvaise perdante se trouve également confrontée à un choc colonial des hauts fonctionnaires du Quai d’Orsay.

En pleine polémique sur le racisme systémique en Occident et les réflexions des études post-coloniales sur la perception de l’Occident sur le monde, Il est intéressant d’appliquer cette matrice analytique dans les relations internationales. Pour la France une ingérence étrangère qui menace ses intérêts politiques et économiques est mal vue mais quand en plus il s’agit d’un pays musulman avec à sa tête un président ouvertement islamiste, cela devient proprement scandaleux. Cela révèle un changement d’époque et une mutation des puissances qui terrorise Paris et qui lui rappelle le douloureux souvenir de la guerre de Suez, en 1956, quand Moscou a fermement rappelé à Paris et à Londres qu’elles étaient des puissances du passé.

Le fait de passer par l’OTAN de se coordonner avec Abu Dhabi et convaincre le Caire d’entrer dans la bataille souligne d’autant plus l’incapacité de Paris de faire face au problème seul, alors qu’elle se retrouve encore embourbée dans l’opération serval.

Un petit témoignage…

En somme, depuis mon premier article sur l’Islam et les rivalités politiques au Moyen-Orient paru en Mars 2014, pas grand-chose n’a changé dans cette région du monde  toujours en proie aux conflits et aux influences. J’ai eu l’honneur de publier une quinzaine d’articles sur le sujet avec Maghreb Canada Express ce qui m’a permis d’apprendre et d’aimer à mettre mes pensées sur papier et de pouvoir ainsi quelques années plus tard me spécialiser dans le risque géopolitique de cette région qui nous passionne tant. Je souhaite à travers cette modeste contribution souhaiter un Joyeux anniversaire au journal, a ses lecteurs et exprimer mes sincère remerciements à son Directeur de Publication, Abderrahman El Fouladi.

Par Anas Abdoun, analyste géopolitique spécialiste du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord,, pour Maghreb Canada Express, Vol. XVIII, N°07 , page 10, JUILLET 2020.

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