Par Moha Ennaji, (Professeur à l’Université de Fès, et professeur visiteur à l’Université de Rutgers et de l’Université de Mansfield )

ennajiLa mi-novembre 2020, dans un hôpital privé du quartier Hassane de la capitale, Rabat (Maroc), Mahjoubi Aherdan, fondateur du Mouvement populaire, est décédé à l’âge de 100 ans.

Le défunt était l’un des fondateurs du Parti du mouvement populaire après l’indépendance du Maroc, avec feu Abdel Karim Al-Khatib, et il a occupé de nombreux postes au gouvernement.

Dans ce témoignage, je voudrai passer en revue les vertus du défunt au cours de son parcours politique et social, et citer certaines de ses paroles indiquant son patriotisme et sa loyauté envers son pays.

Il était un homme multidimensionnel mais il reste avant tout un symbole du patriotisme authentique. C’était un écrivain talentueux, un grand artiste et un politicien chevronné. Sans oublier ses remarquables contributions à la stabilité du Maroc et au développement humain.

Comme le dit Moha Khettouch dans son ouvrage Aherdan  ou La Passion de la Liberté (2000), « Aherdan est un personnage hors du commun, ayant de manière objective, les aspects multiples d’un acteur politique souvent occulté par la chronique et maintes fois mal compris, car arborant un style personnel que lui impose l’enracinement de sa logique dans les fins fonds du terroir, creuset de l’identité marocaine, authentique par sa pluralité, sa richesse et sa diversité. »

Dans un entretien accordé au journal « Aujourd’hui le Maroc », il a déclaré :
«Je continuerai d’être résistant aussi longtemps que je serai en vie ». C’est ainsi que Mahjoubi Aherdan répondait à ses détracteurs, après avoir été élu, à l’âge de 85 ans, président du Mouvement populaire (MP). Ce plébiscite laissait planer l’éternelle question : pourquoi nos politiciens ne cèdent-ils pas spontanément la place à la nouvelle génération ? Pour Aherdan, la réponse était simple : «servir son pays ne se compte pas en nombre d’années». Ancien membre de l’Armée de libération nationale, Aherdan assumait bel et bien le statut de «l’éternel résistant». Il avait assumé plusieurs fonctions au sein de nombreux gouvernements : plusieurs fois ministres, il fut également gouverneur, député, etc. Il était par ailleurs membre du Conseil consultatif pour les droits de l’Homme (CCDH).

Aherdan avait déclaré dans un entretien avec le quotidien Aujourd’hui le Maroc : « Aherdan ne quittera pas la scène tant qu’il est en vie. Je dépense ma vie, non celle des autres …Si nous vivons certes dans un monde qui change, il faut tout de même que le changement se fasse dans le bon sens. Que veut dire la réussite économique si nous perdons ce qu’il y a de meilleur en nous-mêmes ? Pour moi, la réussite se résume à ce qui suit : rester soi-même et gagner, c’est l’avenir. Pour ce qui est de la modernité, je pense que chaque époque a sa modernité….On ne peut monter un cheval fougueux que quand on est bon cavalier. » Pour lui, le patriotisme et les intérêts de la nation étaient au-dessus des intérêts personnels ou de parti, et au-dessus de toutes considérations.

Sa personnalité patriotique, son ouverture d’esprit et sont optimisme avaient toujours attiré mon attention et gagné mon admiration depuis mon plus jeune âge. J’écoutais ses discours avec un grand intérêt car il parlait avec beaucoup de sagesse, caractéristique des grands leaders. J’ai également lu ses merveilleux Mémoires et certains de ses beaux écrits et poèmes, comme j’ai été influencé par ses peintures éternelles. J’ai eu la joie de le rencontrer à maintes reprises au festival de Fès  de la culture amazighe. Son intelligence et son ouverture lui avaient valu le respect de tous ceux qui avaient travaillé avec lui ou qui l’avaient côtoyé. En fait, c’était une école d’intégrité politique et d’appartenance sincère à la patrie.

Le personnage d’Aherdan a également fasciné plus d’un intellectuel. L’écrivaine Zakia Daoud a écrit ce qui suit :

« Qui chez l’homme Aherdan est prédominant, du peintre, du poète ou du politique ? On serait bien en peine de le dire et lui-même ne semple pas le pouvoir. D’ailleurs, il affirme : « dans la vie d’un individu tout se tient. Il n’y a pas de cloisons ». Cet individu évolue, on le sent très nettement dans sa peinture…. » (« Aherdan L’amazigh » Zakia Daoud, 1968)

Dans un article publié en hommage à Aherdan en 2007, Fatema Mernissi écrivait : « Les deux leçons d’Aherdan sont : d’abord la confiance en soi n’est pas une affaire d’élite! C’est une denrée populaire! Et tu deviens puissant lorsque tu transformes ta colère en créativité! »

Dans un de ses poèmes ‘Septembre’ (« Les Reflets du Vent: Thili w’uzgou ‘, Marsam, 2002, P100), il dit:

Malheur à celui qui doute ou qui n’est pas préparé…

La fuite est ordonnée et le moment qui passe ne reviendra jamais.

Malheur au désœuvré dont la pensée éparse n’a pas de cours comme la rivière…

Celui-là même qui se laisse vaincre parce que faible et parce que désordonné….

Chaque minute est un grain d’où peut sortir une plante, et chaque seconde est un bourgeon d’où peut naître un fruit d’or.

Sur le plan personnel, Aherdan était un symbole de l’authenticité marocaine. Il incarnait cette originalité dans toutes ses dimensions: dans ses tenues, ses mouvements, ses paroles et son mode de vie. Tout le monde lui reconnaissait son courage et son honnêteté.

Il avait un talent exceptionnel réunissant l’artiste, l’homme politique, l’écrivain, le poète, le paysan et le citoyen ordinaire. Sa grande ouverture lui avait permis d’acquérir une vaste culture. Il était un véritable symbole de la diversité culturelle et une figure emblématique du paysage marocain.

C’était aussi un homme fidèle à lui-même et à ses principes, serviteur de son pays, de ses amis et de sa culture. Égal à lui-même, il était sage et honnête dans ses paroles et ses actions. L’intégrité était la force d’Aherdan qui était aimé par tous les Marocains, arabophones et amazighophones.

Le défunt était un symbole de la culture amazighe et une sommité nationale. Même ceux qui n’étaient pas d’accord avec lui dans l’organisation des priorités de l’action politique lui préservaient toujours de l’amitié et de l’appréciation dans leur cœur pour sa fierté déclarée d’appartenir à la patrie et sa disponibilité pour apporter sa pierre à la construction d’un Maroc moderne épris de paix et de justice.

Il préférait la patrie à la tribu, avait soutenu l’unité contre la désagrégation, et était resté inébranlable face à toutes les crises et vagues.  Il avait participé activement à l’unification des rangs du mouvement populaire en 2005.

Aherdan était un grand leader qui m’avait envouté par ses idées, son charisme, sa forte personnalité et sa douceur. Le Maroc a perdu un grand homme d’Etat.

Que le Tout-puissant ait son Âme en Paix.

Nous sommes à Dieu et à Lui nous retournons.

Par Moha Ennaji,, Professeur à l’Université de Fès, et professeur visiteur à l’Université de Rutgers et de l’Université de Mansfield, pour Maghreb Canada Express, Vol. XVIII, N°12 , page 11, Décembre 2020.

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