livre-ounirQuand un ami vous fait le rare et insigne honneur de soumettre à votre appréciation un écrit qu’il destine à la publication, vous êtes immanquablement partagé entre la curiosité et l’appréhension, celle de décevoir cet ami ou d’en être déçu.

J’avoue que tel fut mon dilemme quand mon ami Brahim Ounir s’ouvrit à moi sur son projet. Je fus un moment tenté de décliner cette marque d’estime, notre amitié risquant de ne pas survivre à la déconvenue d’un avis négatif de ma part.

J’avoue n’avoir que de vagues notions de l’histoire des relations maroco-russes, surtout à l’époque d’avant l’URSS, et, peu enclin à lire sur commande, je craignais me retrouver avec un pensum sur les bras. Ce ne fut heureusement pas le cas et cette lecture me procura autant de plaisir qu’elle fut pour moi source d’enseignements profitables.

La manière d’aborder le sujet ne déroge en rien à la rigueur académique – l’approche méthodologique et le nombre des références consultées en sont témoins – mais le soin mis à fouiller la mémoire à la recherche du moindre épisode raccrocheur et la langue accessible pour le présenter font aisément oublier l’austérité de la matière.

Sans donner dans le sensationnel, le cours étique des relations décrites ne s’y prêtant d’ailleurs pas, le récit réussit tout de même à capter l’attention du lecteur par l’analyse réfléchie des faits constatés et leur évolution dans le contexte géopolitique global des différentes époques traversées.

Entre les tsars d’une Russie pleine d’ambitions et les sultans d’un Maroc exsangue à la fin du XIXe siècle, une ébauche d’histoire d’amour commencée sous le règne de Mohammed III et Catherine II se poursuit tant bien que mal sans que les deux parties parviennent à surmonter leur méfiance mutuelle, dans la discontinuité de chapitres jalonnés de jalousies, d’intrigues et de conseils malintentionnés de pays tiers.

Diplômé des universités soviétiques, puis diplomate à Moscou pendant la pérestroïka et après l’éclatement de l’URSS, l’auteur, qui n’a jamais été insensible au charme de la culture russe, notamment en quoi elle s’apparentait à sa propre culture et ses multiples déclinaisons, nous rapproche davantage de ce qui, vu du Maroc, semble être l’extrême bout du monde.

Sa curiosité pour ce pays fascinant, il la nourrit de contacts humains, du simple voisin de palier au lointain imam du mausolée d’Al Boukhari près de Samarkand. Ses voyages, officiels ou personnels, aux confins de l’aire russe historique, furent riches de rencontres originales et le mirent en présence de précieux éléments d’information, parfois inédits, qu’il ne manque pas d’intégrer dans ses travaux de recherche et écrits ultérieurs.

L’auteur nous ouvre une lucarne éclairant des périodes entières passées sous silence ou survolées avec condescendance par les historiens, autant occidentaux que marocains. Car le mérite principal de cet ouvrage est d’être parti d’un postulat improbable et d’avoir su piocher dans le fouillis de la documentation, russe surtout, de quoi étayer cette hypothèse. Correspondances officielles, rapports de missionnaires, articles de journaux, récits de voyage et jusqu’aux vers des poètes, rien qui puisse renseigner n’a été négligé.

La somme des informations ainsi glanées par l’auteur et son tour de force réussi de les mettre à la portée du grand public dans un cadre de cohérence, dépouillées de toutes fioritures inutiles et agrémentées de commentaires instructifs ouvriront l’appétit, et la voie aussi, pour chercher à en savoir plus sur une histoire qui, décidément, reste à écrire ou, du moins, à réécrire.

Quand on en arrive au bout de cette lecture, l’impression qu’on a, du moins celle que j’ai eue personnellement, c’est qu’il y a forcément un « à suivre » caché entre les lignes qui enjoint à l’auteur, ou à d’autres stimulés par son exemple, d’aller chercher dans le passé les raisons de croire en un avenir meilleur pour les relations entre les deux Etats.

Par Hakim Ben Achour Maghreb Canada Express, Vol. XIX, N°01 , page 13 , Janvier 2021

 

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