Par Hassane Bendahmane

Hassan BendahmaneLa population du Maroc approche les 40 millions; de ces 40 millions, plus de 5 millions vivent à l’étranger, avec des proportions variables à travers les continents et les pays. Chacun d’entre nous a quitté le pays natal avec des motivations différentes et dans des circonstances plus ou moins particulières.

Un microcosme de la structure sociale du Maroc?

Pas tout à fait. Les intérêts et les rêves reflètent cette différence de bagages qu’on a laissé derrière soit, aussi bien que celui qu’on a trimballé au pays d’accueil. Ceci reflète des attitudes envers le pays d’origine parfois contradictoires. Cette diversité de positions va du déni le plus farouche à toutes les valeurs, souvent en faveur des valeurs du pays d’accueil, jusqu’à l’attachement le plus farouche aux valeurs ancestrales, aux détriments des valeurs du pays d’accueil. Les deux extrêmes ne rendent service ni au pays d’accueil, ni au pays d’origine et encore moins à la personne qui porte ce fardeau. Faute d’être chez soi ici et ailleurs, il y en a qui ne se sentent chez eux ni ici ni ailleurs.

Et là, on demande au Conseil de la Communauté  Marocaine à l’Étranger (CCME) de défendre les intérêts de cette communauté; lesquels intérêts ne peuvent être que pluriels allant des convictions idéologiques, à celles religieuses, économiques et sociales. Il s’agit donc de s’assurer que les “intérêts” de cette communauté soient mis dans un cadre institutionnel qui soit capable de défendre le tout dans sa globalité. Nous avons deux options principales pour le moment: 1. Des sièges MRE au parlement et plus particulièrement la Chambre des Conseillers; 2. Le Conseil de la Communauté Marocaine à l’Étranger, en tant qu’institution constitutionnelle dont les attributions restent à clarifier par une loi organique qui n’a que trop tardé à voir le jour.

  1. Le Parlement:

La vie politique au Maroc est très complexe; même les partis politiques les plus tenaces ont laissé des plumes dans leur parcours; opportunisme, achat des voix, découpage électoral, affinités régionales ou économiques, loyauté à une certaine élite locale ou népotisme; tout cela ne ferait qu’une bouchée des Marocains qui ont vécu plus ou moins loin des rouages politiques et de la réalité du terrain; ceci est d’autant plus complexe que ces Marocains (quand ils ne sont pas motivés par des ambitions de prestige ou de gains pécuniaires) auront probablement appris quelques principes de ce qui semble être la bonne gouvernance au pays d’accueil qui ne s’appliquent pas automatiquement à la réalité du pays d’origine.

Le dilemme de la double allégeance

Combien de nos compatriotes, y compris celles et ceux à l’étranger, reprochent au parlement sa lenteur, son manque d’efficacité et d’autres défaillances qu’il n’est pas opportun de mentionner. Est ce qu’une poignée de Marocains résidants à l’étranger , si elle est élue au Parlement, va avoir un impact sur la bonne gouvernance au sein du Parlement? D’autre part, les Marocains résidants à l’étranger, ont, pour la plupart, une double nationalité. Il n’est pas équitable d’imposer un choix de loyauté qui peut être difficile pour ces personnes. Est-ce que je dois défendre les intérêts de mon pays d’origine ou ceux de mon pays d’accueil? A fortiori, les instances des deux pays peuvent légitimement avoir une certaine réticence, pour ne pas dire méfiance, envers ces citoyens qui ont une double allégeance à un tel niveau de responsabilité. Il y en a qui sont certainement capables de gérer ces conflits d’intérêts mais la question reste posée dans sa généralité. Il s’agirait de faire une étude de droit constitutionnel comparé pour voir comment certains pays d’accueil ont géré la situation des originaires du Maroc pour devenir ministres, comme c’est le cas en Belgique, en France ou en Israël.

Le Conseil de la Communauté Marocaine à l’Étranger (CCME)

L’article 163 de la Constitution du 29 Juillet 2011 stipule:

Le Conseil de la Communauté Marocaine à l’Étranger est chargé notamment d’émettre des avis sur les orientations des politiques publiques permettant d’assurer aux Marocains résidant à l’étranger le maintien de liens étroits avec leur identité marocaine, les mesures ayant pour but de garantir leurs droits, de préserver leurs intérêts et de contribuer au développement humain et durable de leur pays d’origine et à son progrès “.

Il y a donc trois notions fondamentales: 1. liens avec la mère patrie, 2. les droits et les intérêts des Marocains dans leur pays d’origine; et le troisième concept qui mérite une clarification politique est “la contribution au développement humain et durable de leur pays d’origine et à son progrès “

Le CCME est donc une instance à vocation essentiellement consultative. Il émet son avis sur les modalités de maintenir et de renforcer les liens avec le pays d’origine; il émet son avis sur les moyens de préserver les intérêts des MRE au Maroc.

Pour celles et ceux qui sont plus patriotiques, la constitution leur permet d’émettre des avis sur les modalités de “ contribuer au développement humain et durable de leur pays d’origine et à son progrès “; cette clause permet au CCME de traiter de certains domaines d’attributions qui appartiennent au Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE), à condition, bien sûr, de disposer des ressources et des compétences nécessaires pour faire ce travail.

Ces domaines peuvent être limités aux investissements des MRE au Maroc, au travail associatif et caritatif des MRE en faveur des régions défavorisées, en plus des avis occasionnels sur les modes de gouvernance requis pour une bonne gestion de ces créneaux au Maroc

On attend toujours la loi organique qui va préciser les attributions du CCME et c’est là où tout le travail reste à faire.

La structure actuelle du CCME, depuis sa création, n’a pas accordé assez d’importance à sa fonction principale: la fonction consultative. Des événements ont eu lieu d’ordre culturel, intellectuel et politique; le Président du CCME n’a pas, à notre connaissance présenté à Sa Majesté le Roi, un rapport sur une vision, une structure ou un mandat du CCME. Il y a eu probablement une confusion dans la mesure où le Président se croyait, à juste titre, redevable devant Sa Majesté le Roi alors que le parlement s’attendait à un certain moment que le Président lui rende des comptes sur ses activités. Le résultat a été une sorte de fuite en avant pour dépenser un budget assez conséquent sur des activités culturelles, par ailleurs très bien accueillies par les MRE mais qui rentraient essentiellement dans le cadre du maintien des liens de la communauté avec le pays d’origine.

Ce budget a aussi, en quelque sorte gêné les activités du Secrétariat d’État Chargé de la Communauté qui ne disposait pas de ressources aussi importantes. Quand on ajoute à cette cacophonie les Affaires Consulaires, les parents les plus pauvres mais les plus importants et incontournable spour la communauté, on accumule des frustrations, des fois légitimes des MRE devant la répartition des ressources entre les prestataires de services, sans parler d’un mécanisme de coordination clair.

Quid du rôle du CCME ?

A mon humble avis le CCME devrait être une instance consultative auprès de Sa Majesté, parce que les gouvernements sont appelés à changer tout autant que leurs priorités. D’autre part, le CCME devrait avoir un rôle consultatif sur les grandes lignes de la politique intérieure et des relations internationales telle qu’elle est ressentie ou vécue par les MRE; ce genre d’avis consultatif ne serait pas d’une utilité immédiate pour la gestion des questions diplomatiques bilatérales ou multilatérales au quotidien; le CCME devrait donc donner son avis sur le cadre général des activités gouvernementales, lequel cadre général ne peut avoir sa pérennité qu’avec l’instance monarchique, garante de la continuité du système politique.

La composition du CCME

On peut procéder soit par cooptation, soit par élection.

A) La cooptation a le mérite d’identifier avec un certain recul géographique et par rapport aux petits conflits locaux, les éléments les plus qualifiés pour ce rôle de défense des intérêts de la communauté et de formulation des avis dans ce sens. Seulement, il faut tenir compte du fait qu’il y a souvent un certain nombre de Marocains qui rôdent autour des instances diplomatiques et consulaires qui ne sont pas nécessairement les mieux habilités à faire ce travail; il faudrait affiner les moyens de filtrer les patriotes des opportunistes; il peut y avoir d’autres qui ont bien réussi dans le pays d’accueil et qui, soit par manque d’énergie, soit par méfiance des activités communautaires, ne se manifestent que rarement dans les activités de la diaspora.

Ce problème se pose aussi au niveau des élections: les personnes les plus en vue ne sont pas nécessairement les plus performantes; d’un autre côté, comme au Maroc, on a les représentants qu’on mérite; si les citoyens ne s’intéressent pas à la chose publique, ils finiront par se faire représenter par ceux qui sont disponibles quel que soit leur degré de patriotisme et de qualification.

La cooptation devrait assurer un certain équilibre géographique, de genre et d’ordre idéologique. Les extrémistes de tous bords doivent être écartés par tous les moyens parce que le Maroc a une identité plurielle et il faut s’assurer que cette mosaïque reste le cachet de la culture des Marocaines et des Marocains; les membres doivent adhérer aux dispositions de la Constitution de 2011: “État Musulman Souverain, attaché à son unité nationale et à son intégrité territoriale, le Royaume du Maroc entend préserver, dans sa plénitude et sa diversité, son identité nationale une et indivisible. Son unité, forgée par la convergence de ses composants arabo-islamique, Amazighe et Saharo-Hassanie, s’est nourrie et enrichie de ses affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen.’’

’La prééminence accordée à la religion musulmane dans ce référentiel national, va de pair avec l’attachement du peuple Marocain aux valeurs d’ouverture, de modération, de tolérance et de dialogue pour la compréhension mutuelle entre toutes les cultures et les civilisations du monde”.

Les intégristes qui excluent toute personne qui ne pratique pas comme eux ou qui n’exhibent pas les mêmes apparences ne devraient donc pas faire partie du Conseil; d’autre part les personnes qui viennent attiser les malentendus, par ailleurs superflus entre “Amazighes” et “Arabes” qui les ont “envahis” ne devraient pas avoir leur place au CCME. Nous sommes tous des Amazighes à des degrés variables, juifs inclus.

Par ailleurs, l’article 3 de la Constitution précise un principe fondamental qui peut être mal interprété pour des raisons politiques: “ L’Islam est la religion de l’Etat, qui garantit à tous le libre exercice du culte”. Chaque mot a son pesant d’or dans cet article et il ne s’agit pas d’insister sur ou d’omettre un seul mot de cet article. Un autre principe incontournable est celui de “Dieu, la Patrie, le Roi”; tout le reste est discutable (un compatriote juif m’avait signalé une fois qu’il était bien question de Dieu, auquel nous croyons tous). Tous ces critères de choix appartiennent aux membres de la Commission Royale chargée de suggérer des profiles après avoir fait leur enquête. C’est une lourde responsabilité qui engage l’avenir et la crédibilité du Conseil.

B) L’élection des membres du CCME par la communauté est l’approche démocratique idoine, en vertu des principes sacro-saints de la démocratie et de la représentativité.

Or, une instance consultative ne doit-elle pas être au service de l’instance à la quelle elle est sensée donner son avis? Nous sommes là en présence d’un organe qui va conseiller Sa Majesté le Roi sur les questions qui concernent la communauté marocaine à l’étranger. Il lui appartient de définir les profiles qui lui donneraient les meilleurs conseils, sur la base de leur parcours et de leurs compétences. Si le CCME était une instance gouvernementale, la question se poserait autrement. Est ce que le Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE) est élu au suffrage universel, par exemple ?

le CCME pourrait émettre son avis sur les modalités de représentation électorale dans une phase ultérieure.

Une instance consultative sur une question précise devrait, en principe, préparer sa propre succession, plus durable et faisant partie des instances gouvernementales. Ceci devrait être l’indicateur de succès le plus important pour une telle instance.

Un débat qui mérite d’être continué dans un cadre de tolérance constructive.

Les Marocains Résidants  à l’Étranger ont le droit et le devoir de voter pour les candidats des partis de leur choix à  l’intérieur du Maroc. Ce vote peut se faire si ces résidents se trouvent sur place pendant la période de scrutin. Plus important encore, il faut faciliter, à travers les services consulaires, le vote dans leur pays d’accueil, en s’inspirant de ce que d’autres pays ont fait pour faciliter les modalités de vote pour leurs candidats au pays d’origine.

Par HASSANE BENDAHMANE (Fonctionnaire international à la retraite) pour Maghreb Canada Express, Vol. XIX, N°02 , pages 06-07 , Février 2021

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