Numéro 6 Volume 3 (3ième année) Juin 2005 Pages 18-19 |
PERSPECTIVES FÉMININES CROISÉES Par Dr. Asma Lambrabet, Rabat, Maroc
IL
n’est certainement pas aisé de revendiquer une
libération féminine
à partir d’une tradition
religieuse tant les religions toutes tendances confondues ont été
habituellement
considérées comme étant à
l’origine de la culture universelle d’asservissement des femmes…Il
est encore plus difficile de le faire au nom de l’islam, religion qui détient
aujourd’hui la palme d’or quant à l’oppression de la femme…Et ce, même
si à travers l’histoire de l’humanité et transcendant toutes les
particularismes, les femmes restent asservies à l’ordre sexiste… Malgré
donc une misogynie universelle qui perdure,
l’islam reste le symbole du sexisme
par excellence qu’il est
d’ailleurs de bon ton de critiquer voire de dénigrer
car émanant d’un « Ailleurs » à références
non occidentales.. Et comme il
est toujours plus facile de dénoncer l’oppression chez les Autres, le sexisme
occidental, à la différence de
celui de l’islam,
sera immunisé contre toute critique et absout de toute remise en
question car émanant d’un monde civilisé et nanti… Partant
de cette assertion il sera plus facile pour des femmes de tradition judéo- chrétienne
d’inscrire leurs luttes dans un « mouvement féministe universel »
que pour celles qui se revendiquent musulmanes pratiquantes et qui
refusent donc de renier leur enracinement à une histoire qui est la leur…On
admettra cependant une certaine dose de libération pour celles, de culture
musulmanes certes, mais qui se prêtent
à un discours essentiellement
anti-islamique, autrement dit, celles qui se libèrent de cette islamité
entre autres, source d’obscurantisme et de soumission… C’est
que le seul modèle de libération possible et imaginable actuellement est celui
qui adhère à des normes essentiellement occidentalisées et que l’on
supposerait par je ne sais quelle logique, de l’ordre de l’universel !!!Les
idées, les luttes, les témoignages
des femmes en terre d’islam ne s’évaluent plus à l’aune des valeurs et
des principes qui devraient être universels dans le sens profond du terme,
c'est-à-dire en termes d’équité et de justice, mais plutôt en fonction de
la capacité de distanciation voire dans certains cas de nuisance à l’égard
de l’islam ! Vision
ethnocentrique C’est ce type de vision ethnocentrique qui a sournoisement mené à la défaite de l’universel dans sa vision humaniste… On continue à instrumentaliser à outrance l’image d’une femme musulmane victime pour justifier les théories les plus dramatiques comme celles du choc des civilisations, du monde civilisé et barbare, du bien et du mal…On poussera d’ailleurs la rhétorique jusqu’à faire de la salvation de ces pauvres femmes une affaire d’état comme cela a été l’exemple avec les femmes afghanes ou comme c’est le cas aujourd’hui avec le projet du grand moyen orient qui proposerait avec les réformes politiques radicales une révision sérieuse du statut de la femme musulmane… la
femme musulmane, dernier bastion d’une identité refuge… Il ne s’agit pas ici de renier l’existence de vrais et graves problèmes concernant le statut de la femme musulmane et de faire de la résistance face à des ingérences culturelles très maladroites dans la forme mais qui reste au fond certainement fondés …Mais il s’agit plutôt d'apprécier la gravité et l’impact de ce genre d’actes sur des populations musulmanes déjà fragilisées par des politiques intérieurs dévastatrices et qui vivent ces ingérences comme une véritable agression humiliante…D’où les innombrables réactions de rejet vis-à-vis de toute réforme venant de l’occident encore plus quand il s’agit des réformes concernant la femme musulmane considérée comme le dernier bastion d’une identité refuge… Toutes ces tentatives de libération promulguées par certains courants occidentalisés sont vécues, de l’intérieur du monde musulman, comme des tentatives de déstabilisation et d’acculturation et sont perçus comme faisant partie d’une politique expansionniste dont l’objectif essentiel est de convertir les sociétés musulmanes en sociétés permissives et amorales à l’image de ce qu’est aujourd’hui l’Occident aux yeux de la plus grande majorité des musulmans… C’est on le constatera la logique de la réaction identitaire qui règne dans la majorité des pays islamiques et qui empêche toute tentative réelle de dialogue et de réformes surtout et qui cela dit en passant nous permet en tant que bons musulmans de fermer les yeux sur les multiples transgressions faites su nom de la « préservation de l’identité musulmane »… A ce niveau là, je crois qu’il faudrait se mettre d’accord sur un point qui reste à mon humble avis très important : parmi toutes les critiques faites inlassablement à l’islam et aux musulmans, celle concernant le statut de la femme, malgré sa médiatisation forcenée et parfois son instrumentalisation malhonnête, s’avère être la plus juste, la plus vraie et la plus sensée !! Il est certain que malgré le fait qu’aujourd’hui les sociétés musulmanes soient d’une grande diversité et ce à tous les niveaux, socioculturels, économiques ou politiques et que la situation des femmes musulmanes varie en fonction de la situation géographique et des conditions de vie, il n’en reste pas moins vrai que dans la majorité des pays islamiques, la femme musulmane endure de nombreuses formes d’injustices et d’inégalités et jouit d’un statut juridique des plus déplorable. Interprétation
sexiste du Coran Le constat de la situation de la femme en terre d’islam est réellement accablant mais il est aussi tout important de différencier entre le fait culturel et l’essence d’une religion, entre un message spirituel est ses diverses interprétations… Une règle commune consiste à incriminer invariablement le Coran ou la tradition canonique comme source inéluctable de discriminations envers la femme. Or le vrai problème qui se pose ce n’est pas tant le Coran en lui-même mais ce que l’on a fait de ce Coran à travers des siècles et des siècles de lecture et d’interprétations sexistes envers la femme. Une interprétation rigoriste et complètement fermée du religieux qui a légitimé durant toute l’histoire musulmane volontairement ou non une véritable « culture de discrimination » à l’encontre des femmes…Car il est évident et facile de retrouver des arguments coraniques qui infériorisent la femme – comme d’ailleurs dans tout texte religieux que cela soit la Bible ou la Torah – quand on pratique une lecture littérale, statique et qui ne prend jamais en compte ni la dynamique historique des époques de la révélation ni celle de la conjoncture actuelle. A
la lumière de ces constats,
la femme musulmane se retrouvera finalement
« otage » malgré elle entre 2 mondes : un monde
musulman intérieur dans lequel on lui a usurpé beaucoup de ses droits si ce
n’est tous ses droits et un monde extérieur non musulman où elle est représentée
comme le prototype par excellence de la femme opprimée condamnée sans merci à
une représentation stéréotypée implacable ! Partant de cette logique on veut nous faire croire à nous musulmanes que plus d’islam c’est plus d’aliénation et donc moins de libertés et qu’au fond il n’y aurait aujourd’hui que 2 choix possibles : -Primo : se libérer de toute aliénation religieuse et adhérer au seul modèle de libération féminine à savoir le modèle dominant de la femme libérée qui prévaut aujourd’hui, seul choix possible pour une réelle émancipation… ou -Secundo : se résigner à accepter sans réserve tout ce qu’un FIQH ou jurisprudence islamique a légiféré au nom d’une lecture rétrograde de la femme autrement dit accepter en tant que femme qu’il y est moins de droits et plus de discriminations au nom du sacré !!! Entre
l’hérésie et la soumission, la troisième voie... Alors que choisir ? Un vrai dilemme pour les femmes musulmanes ! Même si certaines d’entre elles ont choisi…Il y aura celles qui ont fait le choix, en connaissance de cause, de se libérer de toute référence religieuse et dont le modèle, tout le modèle de réussite, reste symbolisée par la femme occidentale… D’autres, les plus nombreuses vont préférer fermer les yeux sur le déni de justice dont elles sont les victimes au nom du religieux !!! Elles préfèrent se soumettre aux lois des hommes car on leur a apprit que la subordination à l’homme est une obligation divine et c’est ainsi que soumises dès leur jeune enfance à ce postulat qui les renient en tant qu’individus à part entière, elles vont transmettre fatalement cette tradition de la soumission à des normes patriarcales, à des générations et générations de musulmans et de musulmanes … Restent
celles qui – croyez moi sont
encore peu nombreuses- et qui revendiquent le fait d’être des musulmanes
pratiquantes tout en restant critiques aussi bien par rapport à une certaine
perception de l’islam imposée par
des traditions culturelles passéistes que critiques envers un Occident
qui veut lui aussi leur
imposer un modèle unique de libération, autrement dit une « féminité »
conforme aux normes dominantes et à laquelle elles refusent de se soumettrent
!!! Vers
un engagement féminin spirituellement musulman C’est
à partir de cette perspective,
celle d’une lutte féminine le plus souvent non reconnue, minimisée,
voire totalement ignorée, que je voudrais témoigner
aujourd’hui…Parler au nom d’un engagement
féminin, que je revendique, qui
se veut spirituellement musulman, enraciné
dans la réalité d’une appartenance mais qui aspire à un universel
partagé comme un bien commun de l’humanité… Cet
engagement se fait au nom des références musulmanes et considère que
l’islam peut être vécu comme un message émancipateur…Oui, je dis bien émancipateur,
ce terme qui en soi peut paraître antinomique
dès lors qu’on l’associe avec femme et islam…Car si l’émancipation des
femmes comme elle est reconnue actuellement veut dire la capacité de celles-ci
à parler pour elles mêmes et d’elle mêmes, ces femmes musulmanes,
sont dans un processus d’émancipation dès lors, qu’elles décident de
parler d’elles mêmes … Dès
lors aussi, qu’elles
revendiquent une lecture de
l’islam avec un regard libérateur motivées par leur foi et leurs
convictions et qu’elles décident délibérément
de réécrire leur histoire
et de redéfinir leur identité,
domaines longtemps considérés
comme propriétés exclusives des hommes musulmans… C’est dans cette vision
des choses, qu’actuellement émerge ce que l’on pourrait nommer un véritable
mouvement féminin, celui d’une
3eme voie, entre une aliénation occidentale
et un traditionalisme fermée, un mouvement certes encore minoritaire
mais croyez moi qui fait doucement mais sûrement son
chemin.. Alors
de quoi s’agit-il en gros ? Il s’agit en fait d’une dynamique
qui propose une nouvelle lecture des textes religieux à partir d’une
perspective féminine… C’est que l’on a appelé aussi « la nouvelle
lecture féminine de l’islam » … La
nouvelle lecture féminine de l’islam Un
mouvement féminin mais dans lequel
il y a des hommes aussi- encore
assez dispersé, pas très bien organisé, encore à l’état embryonnaire mais
qui travaille dans la perspective d’une véritable « REAPROPRIATION
FEMININE DU DEBAT RELIGIEUX »….De nombreuses femmes musulmanes sont
engagées dans ce processus de questionnement des sources
et des modalités sociopolitiques en islam
car elles sont conscientes
aujourd’hui que seules, une interprétation correcte des textes dans le sens
d’une revalorisation de la femme et les
réformes endogènes qui en résulteront, peuvent garantir la liberté et l’épanouissement
de la femme musulmane. C’est
donc un mouvement qui
lutte pour les droits de la
femme de l’intérieur de l’islam en tant que religion, mode de vie spirituel
et selon une vision globale et contemporaine et dont le but est de développer
une véritable autonomie et une authentique identité féminine islamique avec
ses droits et ses responsabilités à part entière…
Des voix se lèvent aussi bien parmi les musulmanes d’occident qu’en
terre d’islam pour revendiquer une relecture de fond des textes afin de réviser
les nombreuses injustices commises au nom de l’islam envers les femmes… C’est
un mouvement qui tente de déconstruire le monopole de la connaissance
religieuse traditionnellement assignée
comme privilège exclusif à l’homme en proposant une relecture équilibrée
et nuancée des textes et qui se veut réaliste par rapport au contexte
actuel…Ce projet de « libération » de la femme musulmane se veut
donc intrinsèque aux enseignements coraniques car beaucoup de femmes musulmanes
intellectuelles et universitaires contestent aujourd’hui l’analyse qui prétend
que l’inégalité des sexes, l’oppression et le système patriarcal , soient
des valeurs inhérentes au Coran. Elles prétendent
ainsi démontrer le contraire autrement dit que les sources islamiques
peuvent être lues comme sources libératrices... Elles
dénoncent aussi le fait que certaines interprétations des textes scripturaires
sont devenues secondairement elles mêmes sacrées ce qui a favorisé une
certaine institutionnalisation de la
misogynie en islam et ce du fait que de nombreux savants hommes ont ignoré le
message universel de l’islam et sont restés prisonniers de leurs contexte
culturel… Féminisme
islamique..? Certains
parleront aussi de féminisme islamique…A vrai dire le terme fait
encore peur surtout pour ceux ou celles qui s’arrêtent au problème sémantique
et qui n’y perçoivent qu’une
vulgaire logique de
confrontation entre les sexes ou une tentative d’occidentalisation
sournoise…Il faudrait faire ici du coté musulman un travail de fond sur la
terminologie et savoir dépasser les modèles et débattre plutôt les principes
d’un concept qu’on peut partager surtout en terme
d’égalité des droits et de l’autonomie de la femme… C’est donc à un véritable travail de reconstruction de l’image de soi, auquel, ce sont engagées des femmes musulmanes qui luttent contre toutes les formes de ségrégation et d’injustices auxquelles elles restent soumises le plus souvent au nom d’une interprétation religieuse tronquée … Il est cependant navrant de constater l’aveuglement dramatique de la part de certaines féministes laïques d’une part et de l’opinion internationale d’autre part, à ne pas voir que ces femmes sont dans des processus de résistance et d’apprentissage de l’autonomie qui leur sont propres et de leur refuser toute reconnaissance du seul fait qu’elles ont choisit de s’exprimer à partir de leur appartenance spirituelle. Féminisme
laĩque vs féminisme musulman Or il faudra bien qu’un jour ou l’autre on accepte de dialoguer avec ces femmes et de reconnaître que les changements ne peuvent advenir que si des femmes musulmanes impliquées dans les réformes internes en sont les principales instigatrices…L’histoire l’a prouvé et prouve encore que l’islam reste une donnée incontournable des sociétés musulmanes et toute réforme doit venir de l’intérieur et respecter la dynamique identitaire de ces pays…(C’est exactement ce qui s’est passé au Maroc avec le nouveau code de la famille qui est un modèle de réforme fidèle aux sources islamiques et qui a satisfait la majorité des marocains…)… En conclusion, cette nouvelle lecture féminine de l’islam est porteuse de tous les espoirs et ce aussi bien pour l’islam et les musulmans, que pour le « vivre ensemble » de l’humanité entière….Ceci rentre dans le cadre du grand travail de réforme qui attend les musulmans…Ces derniers doivent impérativement sortir de leur torpeur intellectuel et faire un véritable travail d’autocritique, malgré les nombreuses agressions culturelles, économiques et civilisationnelles, auxquels ils sont soumit…Car il faudrait savoir admettre que si l’image de l’islam et des musulmans est aujourd’hui négative et fait peur c’est en grande partie à cause des musulmans eux-mêmes… La nouvelle lecture est aussi porteuse d’espérances dans le dialogue interculturel, car la méconnaissance de l’islam avec l’image véhiculée en occident d’un islam opprimant les femmes ne facilite ni le dialogue ni la reconnaissance d’une identité plurielle… Et en parlant d’identité plurielle celle-ci ne peut être effective que dans la reconnaissance mutuelle …La fracture Occident- islam qui semble chaque jour se matérialiser un peu plus peut être réhabilitée si de part et d’autres l’on fait d’abord l’effort de se reconnaître en l’autre dans son humanité … Reconnaissance
mutuelle Les
musulmans doivent revoir leur approche du monde occidental et reconnaître sa
diversité et son apport certain à la modernité et à la civilisation
humaine…Et l’Occident doit dans la même logique se départir de son
arrogance culturelle et se libérer de certaines tendances qui font dans le
discours paternaliste voire des fois franchement colonialiste !!!Car il ne
s’agit pas uniquement de tolérer ou de respecter mais plutôt de parler d’égal
à égal !!! La
question de la femme ne doit pas être utilisée comme argumentaire à double
tranchant pour justifier une certaine logique d’imposition des valeurs
occidentales supposées être les seules porteuses de la véritable émancipation…La
femme musulmane a le droit de choisir ses propres voies pour s’émanciper…La
référence occidentale ne doit pas stipuler une référence universaliste
…car l’universalité de cette humanité réside justement dans la diversité
humaine porteuse de toutes les richesses…Savoir rechercher, dans le respect
des identités culturels et des appartenances religieuses, le dénominateur
humaniste commun qui transcende nos appartenances réciproques…
C’est
dans ce sens là que l’occident peut être d’un véritable enrichissement
pour les sociétés islamiques et plus précisément pour cette question de la
femme en islam…en déconstruisant les peurs, les stéréotypes et les clichés
réducteurs sur l’islam…Tous ces maux qui finalement s’enracinent dans
l’ignorance mutuelle…Car il faudrait réapprendre à nous voir les uns et
les autres non pas à travers le prisme de nos différences déformées mais
plutôt à travers celui de nos similitudes humaines et spirituelles…Tout
serait d’ailleurs tellement plus facile !!! Asma Lamrabet est pédiatre.
Elle a également publié 1) Aïcha, épouse de Prophète ou l'Islam au féminin,
éditions Tawhid et 2) Musulmane tout simplement, éditions Tawhid. |
|
MERCI
A NOS COMMANDITAIRES CARLSON WAGONLIT:EL HACHMI OUMZIL REMBOURRAGE D'ÉLÉGANCE NORDEST VOLKSWAGEM |